Uriel
interview Toby de MAUDLIN OF THE WELL |
Un 9/10 dans VS et de
la plume du grand gourou en plus, ça méritait bien de s'intéresser d'un peu plus près
à ce groupe américain qui se démarque de la psychologie moyenne en cours sur la
scène metal à beaucoup de points de vue. L'un des sept membres du groupe, Toby,
répond à nos interrogations sur le double album inouï et en tous points
passionnant " Bath " & " Leaving your Body Map ", et nous
livre un point de vue tranché sur quelques autres sujets... Salutations et merci d'accepter de sacrifier une petite tranche de ton temps à cette interview pour Violent Solutions et les metalheads français. Tu es peut-être au courant - ou pas - que "Bath" et "Leaving your Body Map" ont reçu la distinction d'albums de la quinzaine il y a quelques temps dans nos pages. J'aimerais sauter sur l'occasion pour demander ce qu'il en est des réactions générales sur ces deux disques plutôt non-conformistes. D'une certaine façon je peux imaginer qu'ils aient suscité des commentaires contradictoires aux quatre coins de la scène metal. Est-ce que ces derniers sont semblables à vos espérances - si espérances il y avait ? Pour commencer, je n'espérais de ces albums aucune espèce de succès public. Je pense que dans la scène metal, il est primordial pour gagner un peu de reconnaissance de disposer d'un label, d'un distributeur et d'une agence de promoti ![]() Quoi qu'il en soit, dans les chroniques, la chose négative qui revient le plus souvent c'est " je n'arrive pas à comprendre ça " ou " je n'ai pas voulu prendre le temps d'essayer de comprendre " ou encore " je ne sais pas quoi dire là-dessus, donc je n'aime pas ". Simplement quelques commentaires irréfléchis de la part de journalistes paresseux. Je n'ai jamais lu de chronique négative qui nous ait donné ne serait-ce qu'un seul argument constructif contre l'album. Avant de rentrer dans le vif du sujet, pourrais-tu s'il-te-plaît nous fournir une petite vue d'ensemble de l'histoire du groupe, de ses membres et de vos accomplissements jusqu'à ce jour ? Notre histoire est très ennuyeuse, donc je vais faire court. A la base Byron (vocaux), Greg (guitare), Jason (trompette) et moi-même nous sommes rencontrés au lycée et voulions faire un peu de musique ensemble. Après le lycée, ce fut la fac, et c'est là que j'ai recruté le reste du groupe (Josh - guitare, Terran - synthé et instruments à vent, puis ensuite Sam - batterie, Maria - chant, Nick - basse), puis nous avons fait quelques démos et Dark Symphonies nous a signés. Des accomplissements en tant que groupe ? Tu sais, nous n'en sommes qu'au tout début... Nous avons joué une poignée de concerts très sympathiques avec des groupes que nous aimons, nous avons sorti quelques albums, rencontré des gens bien. Les accomplissements personnels, il y en a trop pour les citer, et j'espère encore plus à venir. La première chose qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai appris votre initiative de sortir deux albums simultanément a été de me demander pourquoi deux albums séparés au lieu d'un coffret double-CD plus habituel. Y a-t-il un objectif particulier la-derrière ? Qu'en sera-t-il du pricing ? Est-ce que les gens devront débourser le prix maximal s'ils veulent acquérir les deux CD ? Nous aimons créer de l'aventure - donc tu as les deux moitiés d'un tout, séparées. Si tu possèdes un album et pas l'autre, cela te donne le sentiment que quelque chose te manque, et donc tu entreprends une petite quête pour aller débusquer l'autre moitié qui complètera le " puzzle intérieur ". A part ça il faut bien avouer que nous sommes un groupe pratiquement inconnu, donc nous voulions donner à tout le monde l'opportunité d'acquérir un seul album et de se faire une opinion. Comme ça si la musique ne te plaît pas, tu n'auras pas à dépenser deux fois plus pour deux CD de merde. Je crois savoir que le label fait une offre sympa, genre si tu achètes les deux CD ensemble, tu les a pour moins cher accompagnés d'un poster et d'un sticker. Avant de commencer à discuter de votre musique, il y a quelque chose d'assez troublant (du moins pour moi) au niveau des artworks de vos albums. Je vais te laisser les décrire ainsi que leur signification, en insistant sur cette impression de cycle créée par le fait qu'un artwork semble mener à l'autre et vice-versa. Le layout de la couverture indique également une certaine continuité par rapport à votre premier album " My Fruits Psychobell " avec cette large bande noire sur la gauche, la position du logo, la police de caractère, etc. Est-ce si important que les gens puissent identifier un album de Maudlin of the Well du premier coup d'il ? Je ne veux pas trop en dévoiler, mais ce que je peux te dire à ce sujet (sur " Bath " et " Leaving your Body Map "), c'est que les deux artworks sont effectivement reliés, ils se fondent l'un dans l'autre, etc, etc... Mais nous voulions que ce soient les gens eux-mêmes qui se représentent la nature des connexions. Nous avons créé ce " puzzle intérieur " élaboré sur lequel tu as apparemment un peu trébuché - essaye de voir si tu peux démêler les fils ! Au sujet de la cohérence avec le premier album, c'est exactement ça : un sens de la continuité. Par contre la bande noire n'a aucune place dans le puzzle. Dans l'absolu il serait idéal que les fans puissent identifier nos albums en un coup d'il, parce que cela voudrait dire que nous nous sommes ancrés dans leurs esprits et qu'ils comprennent un peu mieux notre personnalité, et tout ce qui fait que nous sommes " nous ". Je suis de ceux qui pensent qu'une partie importante de la compréhension de la musique peut être tirée de l'artwork, ce en quoi " écouter avec les yeux " serait le premier pas pour se mettre dans l'ambiance juste et apprécier la pleine envergure de la musique. Dans votre cas l'essence de vos chansons me semble fortement connectée aux couleurs de fond de votre livret. Ai-je tort ? Si oui, comment définirais-tu l'interaction entre le matériel visible et le matériel audible ? Je pense que les visuels sont effectivement dans notre cas très importants afin de capturer l'humeur de la musique, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une relation obligée pour tout type de musique. De même, je ne suis pas " fasciste " lorsque notre musique est en question - je veux dire que je trouve ça très bien que l'auditeur fasse sa propre relation musique-couleurs si ça lui chante. Dans le cas de Maudlin of the Well deux choses sont à garder à l'esprit. La première est que j'ai vraiment très envie de tourner des films, même si pour l'instant il n'y a encore rien de concret sur ce plan là. Je pense donc avoir une sorte d'inclination naturelle à associer musique et visuel. Ceci dit, une source encore plus importante de nos artworks est que lorsque j'achète un album, je suis frappé par la couleur des pages en lisant les paroles, et c'est souvent ce qui me reste en mémoire. Prend le " Like Gods of the Sun " de My Dying Bride par exemple. Bon sang, pour moi l'album entier se résume à ce texte blanc sur fond magenta qu'ils ont utilisé dans leur livret. Je ne peux pas y échapper. C'est le seul ton que je parviens à retirer de cet album - gravé en moi par le livret. Heureusement, dans le cas de cet album, je pense que ça convient très bien, ce qui est une bonne chose. Mais il y a eu des fois où, pour d'autres albums, l'association des couleurs m'a complètement irrité parce que honnêtement j'aurais préféré avoir ma propre interprétation, alors que souvent on dirait que les musiciens n'accordent pas suffisamment d'attention à l'importance de la corrélation. C'est ce que j'essaie d'insuffler à nos albums. Les couleurs évoquent beaucoup pour nous, donc elles ont un caractère complémentaire plutôt que d'être simplement là parce qu'il faut bien mettre quelque chose dans le livret. Votre musique transpire la liberté de style et la complexité, bien que cela ne conduisse jamais au mal de crâne. Je pense qu'il faut surtout être très concentré et dans le bon trip avant de mettre le CD dans son lecteur, sinon il est facile de passer à côté de l'essentiel. Comment en êtes vous arrivés à composer une telle musique qui crache à la face de tous les standards et de tous les clichés ? Est-ce que vous ne pouviez pas vous décider pour une direction musicale et avez ainsi fini par donner libre cours à toutes les idées surgissant dans vos esprits ? Je n'ai aucune raison ou désir d'aller dans une " direction ". La musique n'est pas une ligne, c'est une énergie qui englobe tout, elle existe partout et depuis toujours. La musique est comme la vie. Maudlin of the Well a pour but d'explorer toutes les émotions qu'un être humain peut ressentir... Nous comporter de cette manière envers la musique renforce notre point de vue selon lequel elle est universelle et illimitée. C'est beaucoup plus profond que l'idée d'un " genre " je pense... Il suffit de considérer la musique comme la vie, comme cette force qui imprègne l'univers, et ce point de vue te permet de tout aborder. Il n'existe pas de style, de genre ou de frontière, car toute vie existe ensemble, en communion avec elle-même. Dans quelle mesure le résultat d'une chanson finie correspond-il à l'idée que vous aviez en tête au début ? Cela arrive-t-il qu'une chanson subisse tellement de modifications qu'elle finisse par sonner complètement différemment - voire à l'opposé - de votre intention originale ? Y a-t-il des exemples de telles métamorphoses radicales sur " Bath " ou " Leaving... " ? En fait la correspondance est presque touours parfaite. Que ce soit une bonne chose ou pas ne nous intéresse pas. Mais il ne nous est jamais arrivé de nous comporter de façon impulsive avec une pièce ou d'en perdre le contrôle. Cela rejoint d'ailleurs notre idée comme quoi l'univers te chante une chanson, après quoi tu partages ce que tu as entendu avec le reste du monde. L'univers nous a chanté quelque chose de pré-ordonné, donc nous essayons juste de le reproduire tel que nous l'avons écouté. J'ai lu que vous étiez fermement en désaccord avec les gens qui pensent que votre musique renferme des bases jazz, ou même des parties d'influence jazzy. Vu que, personnellement, je n'ai pas reconnu la moindre séquence proche du jazz au cours de mes écoutes (au pire l'impression " freestyle " qui domine certaines parties où de nombreux instruments différents - dont les cuivres - jouent ensemble), j'aimerais savoir d'où et pourquoi ont germé de tels commentaires, et si vous y êtes encore confrontés souvent ? Merci beaucoup d'aborder ce point. Je suis toujours un peu honoré lorsqu'un interviewer a pris le temps de creuser un peu son sujet ;-). Bref, il est vrai que notre musique ne contient pas la moindre influence jazz. Je sais de quoi je parle, donc c'est un peu crispant quand tu te retrouves face à quelqu'un qui croit dur comme fer qu'une neuvième corde, un beat syncopé, une impro ou une trompette égalent du jazz. J'ai évoqué plus tôt la non-existence des frontières ou des genres - mais le jazz n'est pas tant un genre musical qu'un genre culturel, et ignorer cela est un manque de respect envers cette culture. Le mot " jazz " a une histoire, il a été inventé pour la musique qui était jouée dans les maisons de prostitution, donc il comporte toutes ces connotations sexuelles, trashy, et l'histoire du terme n'est d'ailleurs pas qu'un peu raciste. J'entends ces comparaisons au quotidien et c'est l'un de mes chevaux de bataille, surtout étant donné que j'ai une sainte horreur de tout ce qui est considéré comme du jazz. J'admets avoir au départ eu d'énormes difficultés à faire la transition entre les longues plages calmes et les puissantes explosions de guitares et de vocaux gutturaux. Ces dernières agissent un peu comme une sorte de réveil soudain, " debout, le rêve est terminé ! " Est-ce que cette alternation brutale reflète une volonté de choquer, ou plutôt un conflit intérieur effervescent qui a besoin de s'affirmer à travers une dualité " silence contre chaos " ? Je ne pense pas que cela puisse être attribué à une volonté quelconque. Je veux dire, c'est vrai qu'il y a des moments où ta formule " debout, le rêve est terminé ! " est appropriée, et puis d'autres moments où le but est, comme je l'ai expliqué plus tôt, l'exploration de toute la gamme des émotions humaines, et puis viennent d'autres raisons aussi. Mais je n'assigne pas souvent un but précis à une partie, j'ai certes une idée de ce qu'elle serait censée symboliser, mais de deux choses l'une : 1) Je préfère sincèrement que ce soit le fan lui-même qui y trouve quelque chose d'unique à quoi il puisse se référer et 2) très souvent je ne sais même pas moi-même la teneur de ce qui m'a été suggéré à la conception de la pièce. Je suis assez passif au niveau musique, je ne suis qu'une sorte de canal pour le compte d'une autre force qui trace les " compositions ". Alors laisse sa voix te parler comme cela devait être entendu, j'imagine. Vous avez été comparés à Opeth. Je suppose que cela a trait en particulier aux vocaux et aux capacités techniques, vu que les enjeux derrière les démarches artistiques diffèrent ostensiblement. Cependant, est-ce là le genre de parallèles qui te flattent ? En considérant les courants de l'actuelle scène métallique, y a-t-il une niche spécifique du public dans laquelle vous souhaiteriez vous glisser ? Es-tu d'accord si je qualifie Maudlin of the Well de groupe progressif ? Je considère la comparaison flatteuse, c'est vrai, car je pense savoir ce que ceux qui nous comparent à Opeth entendent par là... Mais d'un autre côté je ne voudrais pas être comme Opeth, je n'écoute pas souvent Opeth, et je n'aime pas tellement Opeth non plus. En surface je pense qu'ils ont bien percé en tant que groupe progressif, accompli et respectable, et leurs fans les vénèrent, donc oui, j'aimerais beaucoup que tout cela nous arrive. Le négatif avec Opeth est que c'est un groupe de branleurs de guitare, leurs compositions sont fragmentées et ne vont nulle part, ils ont fait cinq fois le même album et ils volent des plans à d'autres groupes - je refuse d'être associé à ce genre de choses (NdJ : Ouh la la ! J'en connais qui vont grincer les dents...). Nous ne ciblons aucune niche spécifique du marché - j'aimerais bien sûr que tout le monde ait envie de nous écouter. Je pense que nous sommes un groupe progressif également, donc je suis d'accord avec toi... Nous explorons quelques nouveaux territoires musicaux, mais nous ne sommes pas avant-garde au point de tourner la musique sans-dessus-dessous (après tout nous sommes toujours un groupe de rock), et notre programme politique est aussi progressif. Maudlin of the Well est également actif sur scène. Est-ce difficile de réaliser un show cohérent lorsqu'il y a autant d'instrumentalistes impliqués t autant de détails à jouer à la fois ? Est-ce que vous essayer de reproduire vos albums à 100% ou retravailler-vous les morceaux spécialement pour une approche live ? Existe-t-il une chance de vous voir tourner en Europe prochainement ou au moins participer à quelques festivals ? Nous modifions légèrement les chansons pour la scène, mais pas tellement en fait. Je pense qu'une partie de notre musique percute mieux en live que sur disque... enfin, peut-être pas mieux, mais différemment d'une façon positive. La répartition du son n'est pas vraiment un souci pour nous sur la scène, mais pour le public c'est généralement difficile de tout entendre parce que le mec du son dans les clubs nous voit tous débarquer et ne sait pas trop ce qu'il doit faire. Et puis pour la deuxième partie de ta question je vais te dire ce que te diront tous les groupes sans le sou : si quelqu'un nous refile de l'argent pour tourner en Europe, ou une invitation à jouer au Wacken, crois moi nous serons là en un battement de cil ! En dehors de la musique, est-ce que les liens au sein du groupe sont solides ? Est-ce que vous entreprenez souvent des trucs ensemble, ou bien préférez-vous que chaque membre vive sa vie privée indépendamment de Maudlin of the Well ? Nous sommes vraiment de bons amis, certains de nous partagent même des appartements. Les gars qui ont une copine passent bien sûr plus de temps en dehors du giron du groupe, mais les pauvres célibataires parmi nous traînent tous ensemble et troublent l'ordre public ensemble ;-) Pour conclure cette interview, j'imagine que le mieux est de te demander de laisser quelques mots en français pour nos lecteurs... Et si tes connaissances dans la langue de Molière sont inexistantes, pas grave, contente-toi de dire que Violent Solutions est le meilleur webzine de la planète, he he ! Ha ha, sympa. Désolé de ne pas connaître un mot de français (NdJ : tiens c'est bizarre, l'interview est pourtant en français ! Bon, d'accord, c'est nul...), mais en tout cas merci pour cette interview. Ah oui, pendant que j'y suis : Violent Solutions est le meilleur webzine de la planète ! |