| Loves LIES Bleeding
    est un groupe fraçais qui vient de sortir son album "S.I.N" sur la label
    autrichien CCP Records. Notre reporter Uriel a saisi l'occasion de faire une interview
    passionnate avec Adrastis, leader de LLB. Uriel : Bienvenue Adrastis, et merci de sacrifier
    un peu de ton temps pour répondre à ces quelques questions. Avant toute chose un gros
    mea culpa de ma part car je n'ai jamais pris la peine d'écouter « Behold my vain
    Sacrifice ». Cependant, les échos que j'en ai eu tendent à indiquer une évolution
    plutôt radicale d'un album à l'autre. Dis moi, comment passe-t-on d'un album de gothic
    metal à ce black symphonique assez ravageur (si tu es d'accord avec  ces
    qualificatifs)? Où se trouve le fil conducteur de votre uvre ?Adrastis : Tout naturellement. Le fil conducteur, c'est moi-même. Je veux
    dire par là qu'il n'y a pas de calcul. J'ai simplement toujours fait ce que je sentais
    juste à un moment donné. Disons que j'ai suivi le concept grec de Kairos: Je choisis le
    moment opportun, ni trop tôt, ni trop tard pour atteindre mes objectifs. Auparavant, je
    trouvais satisfaction dans un style plus calme et plus lent. Désormais, j'ai radicalisé
    mon approche. Mouvement qui n'aurait pas pu s'opérer plus tôt...
 
 Uriel : Parlons de « S.I.N. ». Je sais que faire des comparaisons est
    un jeu risqué, mais es-tu d'accord si je dis que cet album possède un magnétisme
    mystique similaire au premier Limbonic Art ? D'une manière générale, quelles
    perceptions ou images avez-vous souhaité transporter au travers de cette musique ?
 Adrastis : Limbonic art, pourquoi pas? j'apprécie ce groupe et je ne
    peux que me sentir flatté d'une telle comp
  araison.
    Je ne cherche pas à transmettre d'images ou d'idée à travers ma musique.  Juste la
    pureté d'un sentiment. Ensuite, bien évidemment, chacun trouvera des mots pour la
    décrire mais cette approche sera subjective: Certains y verront surtout la violence,
    d'autres la mélancolie... C'est selon. Pour ma part, je ne prêche rien. 
 Uriel : Comme je l'ai déjà signalé, beaucoup d'éléments concourent
    à conférer à l'album une certaine violence. Penses-tu que l'apport d'un batteur de
    chair et de sang ait insufflé ce surplus d'énergie, ou bien cet aspect ultra-percutant
    était-il un choix délibéré avant l'enregistrement ?
 Adrastis : Il est évident que l'arrivée d'Hydraoth au sein de la
    formation a apporté un regain d'énergie. Mais lorsque sa venue s'est confirmée, j'avais
    déjà composé la quasi totalité de l'album. Sans lui, l'orientation musicale était
    déja prise. Maintenant, il est vrai qu'il m'a permis de réaliser exactement ce que je
    voulais, ce que j'attendais.
 
 Uriel : Pourtant, malgré ce côté déchaîné, « S.I.N. » exhale une
    légèreté certaine grâce aux claviers, qui donnent l'impression de réellement flotter
    autour de la musique, sans toutefois adoucir la sensation orageuse qui prédomine. Peux-tu
    m'éclairer sur le choix des sonorités très « suaves » de ces claviers, ainsi que la
    façon dont les orchestrations interagissent avec le maelström guitaristique ambiant dans
    le processus de composition ?
 Adrastis : Il n'y a pas de processus a priori. Tout se déroule
    presque instinctivement, à chaque fois d'une façon différente. N'importe quelle
    musicien te le dira aussi bien que moi. La composition, la création est un mystère.
 
 Uriel : J'ai peut-être tort, mais j'ai l'impression que le chant
    féminin, qui sonne très éthéré, a un usage plus ou moins similaire aux synthés,
    peut-être une façon de varier un peu le timbre de l'arrière-plan symphonique, ou bien
    de tisser une ligne mélodique parallèle. Es-tu d'accord ? Parle moi un peu de cette
    chanteuse. Est-ce sa première expérience métallique ? Êtes-vous globalement satisfaits
    de son intégration et comptez-vous approfondir son rôle au sein du groupe par la suite ?
 Adrastis : Je ne suis pas tout à fait d'accord, mais il vrai que la
    voix féminine est plus utilisée comme celle d'une sirène plutot que celle d'une
    chanteuse. En revanche, il y a tout de même certains passages ou celle-ci dit des
    paroles, ce qui l'éloigne, tu en conviendras, d'un synthé. Vu son talent, il est
    évident que je referais appel à ses services pour les prochains opus. Ce n'est pas sa
    premiere expérience au sein d'un groupe et, de plus, elle devenue chanteuse dans Eros
    Necropsique. Tu vois donc que je ne suis pas le seul à voir en elle une grande chanteuse.
 
 Uriel : C'est normal d'être intrigué par un titre tel que « Frygt og
    Baeven ». J'imagine que c'est du Norvégien, non ? Peux-tu m'éclairer sur le concept?
 Adrastis : Non, c'est du Danois: C'est le titre d'un livre de
    Kierkeggard, "Crainte et tremblements", en français. Il s'agit d'un
    détournement/hommage des propos  du livre; à savoir une reflexion sur la figure
    d'Abraham, face à Dieu dans une solitude complète,qui se doit de sacrifier son fils. Ce
    geste est tout à fait incompréhensible pour le reste de l'humanité puisqu'Abraham
    n'appartient plus déjà à la même sphère: Il est désormais au stade religieux, bien
    au delà du stade Ethique ou Esthétique. Pour ma part, je me permets, sacrilègement, il
    est vrai, de renverser la chute annoncée: Isaac, possédé par le démon, à savoir
    l'affirmation de sa liberté et de son moi, se retourne et tue son père.
 
 Uriel: La nudité représentée sur la pochette reflète-t-elle la
    pureté de votre musique, ou bien encore une volonté de dépouillement, de mise à nu de
    ton âme créatrice ?
 Adrastis : Il ne faut surtout pas rechercher de signification, de
    concept à la pochette. Je ne me suis intéressé qu'à l'expérience esthétique, pure,
    du spectateur, c'est à dire - il suffit de se tourner ver Kant - procuration d'une
    satisfaction désintéressée. Le sens ruine l'art, c'est une de mes convictions les plus
    profondes.
 
 Uriel : D'où est venu le choix de vous expatrier sous un label
    autrichien ? Il n'est pas un secret que CCP est sujet à quelques « différends »,
    d'ordre aussi bien financier qu'artistique, avec certains de leurs groupes. Comment
    qualifierais-tu votre collaboration avec le label pour l'heure ?
 Adrastis : Et bien, cela se passe plutôt bien. Je m'entend très
    bien avec les membres du label. Je n'ai aucune pression artistique. La seule contrainte
    extra-artistique est la réponse aux interviews... Mais c'est normal, cela fait partie du
    deal et puis ce n'est pas toujours une contrainte, lorsque les questions varient et sont
    intéressantes (comme c'est le cas avec toi).
 
 Uriel : Es-tu familier avec d'autres groupes du label ? Pour moi, leurs
    formations les plus vertueuses - hormis Love Lies Bleeding bien entendu - sont
 Hrossharsgrani, Jack Frost et Enid. Souhaites-tu faire un commentaire quelconque sur la
    musique de ces groupes, ou d'autres de vos « collègues »
 que tu apprécies ?
 Adrastis : Honnètement, à part Dornenreich et Estatic Fear, je
    n'écoute pas vraiment les autres groupes du label. Et je ne les connais pas
    personnellement...
 
 Uriel : Est-ce que mes oreilles me trahissent, ou bien la partie
    symphonique avant le final de « I cum Jesus' Tears » est adaptée de « Peer Gynt » du
    compositeur norvégien Edvard Grieg ? Pour quelle raison avez-vous choisi d'inclure cet
    interlude - qui selon moi se fond à merveille dans le morceau ? Y a-t-il d'autres clins
    d'il cachés à la musique classique dans « S.I.N. » ?
 Adrastis : Bien joué! Cela me fait très plaisir que des oreilles
    aussi affutées écoutent ma musique. Non c'est le seul clin d'oeil à un compositeur
    classique. Tu remarqueras tout de même que la référence est très succinte - 3 notes, 2
    accords - et vivement travaillée.
 
 Uriel : Par extension, je ne pense pas me tromper beaucoup en disant que
    la musique classique tient une place privilégiée dans tes goûts musicaux. J'ai à ce
    sujet eu de nombreuses discussions (parfois houleuses) quant à une hypothétique
    filiation entre classique et black metal. Ma théorie est que le black metal (en tant que
    prolongation du rock) descend des musiques populaires d'après-guerre, et n'a d'autre lien
    contextuel ou technique avec la musique classique au sens propre que certaines similitudes
    dans les émotions véhiculées (rage, mélancolie, révolte, immensité
). Tu es
    libre de me contredire ou d'apporter ta pierre au débat
 Adrastis : Je ne suis pas vraiment d'accord. Je trouve, pour ma part,
    que le BM peut tirer sa source du classique, comme c'est le cas dans LLB. L'esprit
    grandiloquent, la langueur des morceaux et surtout les atmosphères variées me paraissent
    être des qualificatifs que l'on peut attribuer aussi bien au BM qu'au classique. Je
    travaille les changements de tonalités à la manières de compositeurs classiques. Il n'y
    a pas ce genre de choses dans la musique populaire, ou très peu. L'illustration parfaite
    de ce mélange est la cohabitation parfaite entre le passage de Grieg et les autres
    mélodies au sein d'un des morceaux de LLB.
 
 Uriel : J'ai lu que tu étais un admirateur du philosophe roumain Emil
    Cioran. J'imagine qu'en ce sens Nietzsche compte aussi pour toi. Que penses tu de cette «
    mode » dans les cercles metal qui consiste à lâcher le nom de ce philosophe en temps
    qu'influence ? Crois-tu que tout le monde prend seulement la peine d'approfondir son
    uvre, ou bien n'en retiennent-ils que les fondements les plus radicaux et
    vulgarisés, afin de se prétendre
 philosophes eux-mêmes ?
 Adrastis : Je ne sais pas si c'est une mode mais c'est très courant,
    en effet. Tout bon evil black metalleux se doit d'avoir l'"Antechrist" de
    Nietzsche chez soi  car ca fait sataniste et connait 2 aphorismes comme "Dieu
    est mort", "ce qui ne me tue pas me rend plus fort" ou des poncifs de ce
    genre. Il y a une vraie volonté de se crédibiliser, de se sentir faire partie d'une
      élite... Mais c'est souvent pathétique et très amusant... Le mieux, ce sont ces
    abrutis de nazis qui se croient intelligents en lisant Nietzsche (sans nuance, de
    surcroît) alors que celui ci était profondément contre les antisémites... Pour
    conclure, je dirais que c'est très contestable de vouloir crédibiliser le Black metal
    par la philosophie. On peut les méler, certes mais pas plus.
 
 Uriel : Rassure toi, je ne vais pas te demander de me réciter le «
    Précis de Décomposition » ou toute autre uvre de Cioran. Ce qui m'intéresse
    c'est le style de cet auteur, fait d'aphorismes cinglants et désenchantés (comme celui
    qui figure dans le boîtier de « S.I.N. » à propos du suicide
 salvateur), à savoir de petites phrases percutantes, souvent ironiques, censées
    bousculer notre pensée et provoquer une introspection de soi, parfois violente. En
    poussant jusqu'à l'absurde (quoique ?), ne pourrait-on pas tracer un certain parallèle
    entre ce mode d'expression philosophique et le black metal, dont une raison d'être comme
    une autre est bien après tout d'« exploser à la gueule » de l'auditeur en lui
    assénant des vérités brutes ? J'aimerais avoir ton point de vue là-dessus.
 Adrastis : Tout d'abord, l'aphorisme ne traite pas du suicide
    salvateur mais de la pensée salvatrice du suicide. Je me permets cette remarque car cela
    est cause de nombreuses méprises à propos de Cioran: Il ne fait pas l'apologie du
    suicide en tant que fait mais en tant que possibilité. On se sent mieux dès lors que
    l'on sait que l'on peut en finir à chaque instant.A part cela, je suis assez en accord
    avec ta description du style de Cioran. Par contre, je n'oserai pas un parallèle avec le
    BM. C'est à déplorer ou pas mais il n'y a rien de moins ironique que le Black, d'un
    sérieux écrasant...
 
 Uriel : En restant sur Cioran (après j'arrête, juré
), que
    t'inspire sa citation « chaque homme évolue aux dépens de ses profondeurs, chaque homme
    est un mystique qui se refuse » ? Dans le cadre d'une société d'urgence comme la notre,
    ne devient-il pas surhumain ne serait-ce que d'effleurer du doigt de l'esprit ses propres
    vertus intérieures ? N'éprouves-tu pas un certain sentiment de gâchis devant tous ces
    hommes qui passeront toute leur vie sans trouver le temps ou l'envie d'exploiter leurs
    talents ? Toi-même, te considères-tu comme un créatif, et penses-tu tirer le meilleur
    parti de ton être lorsque tu composes ou écris ?
 Adrastis : Je ne pense pas mais j'en ai l'illusion. Au fond, pour
    parler comme Cioran: "pourquoi quelque chose plutot que rien?" Il est clair que
    tout ce que je peux produire n'a aucune réelle fonction,  meme pour moi. Mais j'ai
    l'illusion de "servir" à quelque chose, d'exister  un peu plus qu'en ne
    faisant rien. C'est un choix fondamental à faire: Est ce qu'on continue... ou
    pas?Récemment, seulement, j'ai eu cette certitude: Je ne me tuerai pas. Ce qui n'est pas
    aussi évident que cela, dés lors que l'on ne croit en rien et que  l'on se
    contrefout du bien ou de la survie de l'espece humaine.. Alors je continue et je crée. Au
    moins pour dire que ce que je vis et peuple mon existence ne me suffit pas. Ce qui est
    assez tragique au fond... Pourquoi ne pas se contenter juste de vivire et survivre, comme
    le plus  simple des animaux? Et bien, non... Condamnés à avancer. J'envie même
    parfois ces gens qui, comme tu le dis, n'exploites pas leur talent. La plupart d'entre eux
    n'en ont meme pas conscience, et c'est au fond le seul salut de l'homme possible: perdre,
    se détacher de sa conscience...
 
 Uriel : Revenons à Love Lies Bleeding. Le fait de disposer d'un line-up
    complet va-t-il vous permettre de vous produire sur scène ? J'imagine qu'il n'est pas
    vraiment dans les moyens de CCP d'organiser des tournées (en tout cas je n'ai pas le
    souvenir d'avoir vu des groupes CCP sur une affiche), alors est-il dans vos plans de faire
    des concerts à droite et à gauche, ou bien peut-être de vous embarquer sur une tournée
    par d'autres moyens ?
 Adrastis : Si les demandes sont concrètes et intéressantes, je
    pourrais entrevoir une possibilité de concert. Mais sinon, hors de question de faire de
    la scène  dans les conditions habituelles d'un concert de BM. Je ne renie en aucun
    cas cette ambiance - j'ai moi meme fait plusieurs concerts avec d'autres formations- mais
    elle ne se prèterait pas à LLB.
 
 Uriel : Qu'en est-il de votre prochain enregistrement ? Un album est-il
    déjà prévu ? Si oui, peux-tu dores-et-déjà en dévoiler quelques menus détails ?
 Adrastis : Il est bien trop tôt pour se prononcer. Je continue à
    composer, pour sûr mais je ne sais pas encore quelle sera la tonalité générale du
    prochain album. Disons, pour rester vague, qu'il sera certainement plus violent, et plus
    sombre...
 
 Uriel : Je sais que c'est une question un peu récurrente, mais quel
    regard portes-tu sur la scène hexagonale, surtout en tant qu' « expatrié » ? La
    timidité des labels français à signer des groupes français n'est plus à prouver - on
    leur préfère des vieux dinosaures sur le déclin, dont le seul nom fait vendre (nul
    n'est visé bien sûr
). Déplores-tu cet état de fait ? Quels sont les groupes qui,
    selon toi, ont le potentiel pour tirer la popularité du metal  extrême « made in
    France » vers le haut ?
 Adrastis : Et bien, la scène francaise de BM atmo ou sympho est
    plutot pauvre à mon gout. En revanche, la scène brutale comporte de très bons groupes
    tels  qu'Arkhon Infaustus ou Antaeus. En ce qui concerne les labels, je n'ai pas
    grand chose à en dire, ne les connaissant pas plus que cela. J'ai seulement l'impression
    que c'est au niveau de l'underground que la motivation est à son plus haut.
 
 Uriel : Dernière question avant de te libérer. Imagine que tu te sois
    retrouvé sur  la Croix à la place de Jésus (ne me dis pas que c'est con, je sais
    que c'est con, essaye juste de te représenter le contexte STP), avec le pouvoir de mettre
    fin à tes souffrances dans l'instant. Aurais-tu choisi de les prolonger (résurrection
    comprise) au nom d'un idéal édificateur pour les siècles à venir, en ayant à l'esprit
    les conséquences des interprétations fallacieuses dont ta doctrine ferait l'objet, ou
    bien serais-tu mort sur le coup en brisant le symbole de ta vie pour peut-être préserver
    celle de millions d'innocents? En d'autres termes que serait le monde sans religion(s) ?
 Adrastis : Evidemment, si c'était moi, Jesus, je ne me serais pas
    tué. Quoi de meilleur pour l'orgueil et l'amour propre que d'être le point de départ de
      l'histoire? Par ailleurs, je ne suis pas non plus anti chrétiens ou anti
    religions. Je ne me sens tout simplement pas concerné. Je réfute toute transcendance, je
    ne crois en rien... La métaphysique prète juste à de jolies envolées  lyriques et
    philosophiques... Si cela permet à certain de s'oublier, de supporter la vie en attendant
    un avenir meilleur, alors cela ne me gene pas. C'est pathétique mais pas dérangeant.
 
 Uriel : Comme il est de coutume je te laisse conclure, non sans avoir
    rappelé le website de Love Lies Bleeding...
 Adrastis : Merci bcp pour ton itw - une des plus intéressantes qui
    m'ai été donnée de faire - et bonne chance pour la suite.
 Visiter notre site, bientot completement refait: http://multimania.com/bleeding
 
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