Enid...
ou la conjugaison au départ hasardeuse, en 1996, du talent inné d'un
compositeur-chanteur classique en devenir (Martin Wiese) et d'un amoureux de metal
impliqué dans la presse underground germanique (Florian Dammasch alias Alboîn),
saisissant là à l'aurore d'une amitié naissante l'opportunité de donner corps à ses
aspirations artistiques. On est (heureusement) encore loin des paillettes décérébrantes
de Star Academy, mais c'est une histoire en tous points attendrissante que celle,
authentique et ingénue, de ces deux jeunes passionnés partis de rien et arrivés à
force de persévérance à conférer à leur projet une crédibilité indéniable qui ne
demande plus qu'à déboucher sur un succès d'estime ô combien mérité. Cette longue
interview avec Florian et Martin a été réalisée - en allemand s'il-vous-plaît, ce fut
assez éprouvant pour être signalé - le 23 février 2002 dans le cadre du mini-festival
donné en honneur de la sortie de l'album " Seelenspiegel " (voir live report et
chronique par ailleurs).
Tout d'abord quel est votre sentiment vis-à-vis du concert de ce samedi ?
Êtes vous plutôt enthousiastes du résultat ou plutôt déçus ?
Alboîn: "Tu as pu en juger par toi même puisque tu étais là - en ce
qui me concerne, j'ai été en proie à la plus totale perplexité la plus grande partie
de la soirée. Un tel concert exige énormément au niveau de l'organisation, surtout
quand on est comme moi un maniaque de la perfection qui veut absolument tout faire au
mieux. Lorsque quelque chose ne fonctionne pas exactement comme je me le suis imaginé,
j'ai tenda nce à vite devenir nerveux...
Mais au bout du compte notre propre prestation s'est quand même bien déroulée, c'est
une sensation toute nouvelle, une expérience énorme pour moi. Le plaisir pris à jouer
la musique a donc prévalu. Maintenant je ne parlerai pas de pur enthousiasme, car quand
on est confronté à une concentration et une nervosité aussi extrême on oublie vite
qu'il faudrait savourer la situation."
Avec le recul, comment considérez-vous les réactions de la presse et du
public par rapport à votre second CD "Abschiedsreigen"? Êtes-vous globalement
satisfaits des retombées de l'album ?
Alboîn: "Vu les grandes promesses que nous avait faites CCP Records,
le nombre des réactions à Abschiedsreigen' a été encore plus mince que celles
suivant le premier album Nachtgedanken'. Que cela tienne à un certain mépris ou
méconnaissance de la part des médias ou du public, je ne saurais le juger. La promotion
de l'album, pas vraiment optimale en terme de terrain couvert et de choix des supports, a
certainement été pour partie dans cette histoire. Malgré tout une certaine tendance
semble se dégager, à savoir que les groupes décalés, non orthodoxes, sans maquillage,
sans pentagrammes, sans discours marquants ou sans paille dans le crâne ont en général
du mal à voir le jour dans les médias. Même si l'on veut prétendre le contraire, les
métalleux sont quand même dans leur majorité un petit peuple assez borné et
terriblement étroit d'esprit. Ce que l'on ne connaît pas, ce que l'on ne peut pas
catégoriser finit par être dénigré systématiquement d'une façon ou d'une autre, et
s'il s'avère plus tard que c'est quand même génial, presque tout le monde est trop fier
pour avouer sa méprise. Cela ne veut pas dire que toutes les réactions ont eu cet
aspect. Mais les chroniques vraiment emballantes se sont comptées sur le doigt de la
main, et le nombre des interviews après la sortie de l'album a aussi été réduit. Il
faut dire que Abschiedsreigen' n'est pour rien au monde un album aisément
digestible."
A quel moment de l'histoire d'Enid avez-vous jugé nécessaire de rassembler
un line-up complet ? Pouvez-vous décrire les étapes de la formation ?
Alboîn: "C'est une question intéressante à laquelle je ne peux
vraiment pas offrir de réponse concrète. Quelque part en automne ou en hiver 2000 je
m'étais fourré dans le crâne - surtout après avoir vu Moritz (NdJ : Moritz Neuner,
Abigor, Korovakil, ex-Dornenreich...) jouer les parties de vraie batterie pour
Abschiedsreigen' - de poursuivre cette évolution vers un son homogène et humain.
En janvier 2001, après avoir passé quelques mois à rechercher des musiciens, nous avons
pour la première fois répété en tant que line-up complet. Le second guitariste d'alors
ainsi que le batteur Marlek et notre ex-bassiste Jan ne font aujourd'hui plus partie de
l'aventure Enid pour diverses raisons. Nous avons été forcés de constater que le niveau
d'exigence du matériel composé par Martin était déjà très haut. Nous, en tant que
quasi-débutants pour la plupart, étions confrontés à des morceaux qui auraient donné
du fil à retordre même à des professionnels. Evidemment cela n'a pas fonctionné. Nous
avons pu sauver ce qui était encore sauvable, à savoir l'enregistrement de l'album, et
ceci en grande partie grâce à Moritz qui s'est de nouveau engagé à s'occuper de la
batterie pour nous, et aussi à l'arrivée en catastrophe de deux nouveaux guitaristes
plus confirmés à mes côtés. Jusque là Enid n'avait jamais été réellement un groupe
malgré des répétitions communes régulières. C'est seulement à l'occasion de
l'enregistrement de l'album, puis quand nous avons commencé à répéter pour le concert,
qu'une véritable atmosphère de groupe s'est faite jour. C'était le but initial - ce ne
fut pas du tout facile, notre façon de procéder pour monter le groupe a été plutôt
étrange, car il fallait que chaque nouveau membre soit impliqué à 100% dès le premier
jour alors que normalement un groupe a besoin d'une période de mise en route que nous ne
pouvions pas nous permettre..."
Le nom d'Enid est fréquemment cité dans les publications underground, mais
je ne vous ai encore jamais vu apparaître au sommaire d'un magazine grand tirage.
Aujourd'hui encore, même après la sortie de votre troisième album
"Seelenspiegel", je n'ai encore lu ni commentaire ni interview. Est-ce que vous
êtes à ce point timide, ou bien est-ce que personne ne veut vous laisser parler ?
Alboîn: "C'est clair que nous sommes extrêmement timides :-) Nous ne
répondons quasiment jamais aux interviews et lorsque nous y répondons nous
séléctionnons notre interlocuteur avec beaucoup de soin et ne traitons que les très
bonnes questions, et ceci en une ou deux phrases maximum !
Bon soyons sérieux... nous ne sommes tout bonnement pas un groupe qui fait tout et
n'importe quoi pour figurer dans les gros mags. Nous ne nous opposons à rien et
travaillons naturellement à faire connaître Enid - mais rien qui dépasse notre
entendement ! D'autre part nou s ne sommes vraiment pas un
groupe de masse, mais plutôt quelque chose pour les goûts un peu hors des sentiers
battus. En clair je peux renoncer sans verser de larme à être dans un magazine aux
côtés d'Immortal, Marduk ou Cannibal Corpse.
J'ai oublié de mentionner que je me suis fait pas mal d'ennemis au cours de mon
implication dans la scène metal ces dernières années, entre autres les chefs de gros
magazines avec lesquels j'ai connu des différends au sujet de l'orientation des contenus.
Ce n'était pas toujours très intelligent de ma part, et aussi parfois trop impulsif, et
d'un autre côté il n'était naturellement pas possible d'éviter que cela rejaillisse
négativement sur Enid. Visiblement, ma petite personne excessivement arrogante, avec qui
personne ne peut s'entendre, joue un certain rôle dans cette forme d'ignorance dont le
groupe est apparemment victime.
Il ne faut pas non plus oublier que la promo pour le nouvel album a commencé avec retard.
Il va sûrement encore se passer des choses..."
Jusqu'à cet album vous étiez sous contrat avec CCP Records. Or, il n'est pas
un secret que vos rapports avec ce label n'ont pas toujours ressemblé à une idylle.
Quand avez-vous décidé de changer de label et qu'est-ce qui vous a amenés à faire
affaire avec Code666 ? Avez-vous reçu d'autres offres ?
Alboîn: "Mon thème préféré... et oui, j'ai même réussi, au cours
de ma carrière de " mal-aimé ", à me disputer avec CCP Records. Je ne peux
simplement pas rester de marbre lorsque j'ai l'impression qu'on se paye ma tête d'une
manière ou d'une autre. Je n'ai jamais été sur la même longueur d'onde que CCP. Leur
façon de penser par rapport à la musique / l'art, l'investissement et les relations
personnelles a toujours été fort différente de la mienne.
Ma décision de quitter le label était d'ailleurs déjà arrêtée après
Nachtgedanken', donc fin 1999, début 2000. J'avais à ce moment déjà tenté de
placer Enid ailleurs, car je voulais une meilleure plate-forme pour
Abschiedsreigen', l'album me paraissant trop important pour pâtir des problèmes
occasionnés avec CCP. Pour une question de temps, et aussi à cause du fait très simple
que nous étions encore sous contrat avec CCP, cela n'a malheureusement pas pu aboutir.
C'est la raison pour laquelle l'album est sorti sous CCP. Après cet album nous avons eu
suffisamment de temps pour prospecter avec le nouveau matériel. Nous avons longtemps
réfléchi à quel label correspondrait le mieux au groupe et à nous en tant
qu'individus. Il a fallu aussi auparavant persuader Martin qu'un changement de label ne
pouvait que nous faire du bien. Nous n'avons reçu aucune offre, surtout parce que nous
n'avons jamais rendu public que nous voulions abandonner CCP. Après mûre réflexion il
ne nous est resté que deux possibilités, et c'est Code666 qui a finalement retenu notre
attention. Je connaissais leur chef Emi à travers des e-mails occasionnels depuis un an
et je savais qu'il aimait beaucoup Enid. Aussi je lui ai régulièrement fait parvenir
notre nouveau matériel. Ca lui a apparemment plu, de telle sorte que nous avons pu,
après une phase courte mais intensive de négociations durant l'été 2001, signer un
contrat. Vraisemblablement, c'est la meilleure chose qui pouvait nous arriver."
Parlons du nouvel album. Voyez-vous en "Seelenspiegel" une suite
logique à "Abschiedsreigen" ou plutôt un nouveau départ si l'on pense que la
statut du groupe a évolué ?
Alboîn: "Je ne suis pas d'accord sur le fait que notre statut ait
évolué, qu'est-ce qui te fait dire ça ? La méthode de travail est toujours la même,
c'est toujours Martin qui écrit la totalité des morceaux et des textes, son style n'a
connu aucun changement - seule l'image extérieure est désormais différente. Le nouveau
matériel est peut-être aussi un peu plus direct, mais c'est davantage une impression
qu'un fait car Abschiedsreigen' avec de vraies guitares sonnerait aussi un peu moins
compliqué. Pour moi il n'existe pas de rupture entre les deux albums, pour Martin non
plus autant que je sache. Malgré tout c'est quand même bien un nouveau départ en ce qui
concerne le collectif Enid. Au bout du compte je crois que la transition entre un style
Enid propre et sa traduction en tant que groupe a été plutôt réussie. Je ne pense pas
qu'on puisse nous reprocher d'avoir changé brutalement de style ou d'être devenus
subitement médiocres."
Bien entendu vous avez pu disposer d'un son plus dense. Est-ce que cet aspect
faisait partie de vos buts avoués ? Pensez-vous que les albums précédents manquaient de
puissance ?
Alboîn: "A mon goût il manquait quelque chose, c'est certain -
surtout lorsque l'on sait que ces albums auraient pu aisément sonner beaucoup mieux si
nous avions eu les possibilités nécessaires (en fait il faudrait réenregistrer les deux
albums...). Les morceaux en eux-même étaient excellents si tu veux mon avis
-Nachtgedanken' est incroyablement charmant, même si le son général est un peu
grossier, et Abschiedsreigen' est très intense dans sa composition et ses
ambiances. Lorsque l'on se plonge dans le matériel, celui-ci ne manque pas
intrinsèquement de puissance. Les productions dans les deux cas n'ont pas rendu justice
aux chansons, je le confesse malheureusement. Mais au diable tout ça, elles sont tout de
même uniques et ont malgré tout un charme particulier."
Martin, avant cet album tu t'occupais de recréer tous les sons de guitare au
clavier !!! Peux-tu en expliquer le procédé exact ? Tu m'a aussi dit que tu ne pouvais
plus souffrir d'écouter "Nachtgedanken" aujourd'hui. Reniement personnel ?
Martin: "Certainement pas, mais je ne peux pas contester que
"Nachtgedanken" ne sonne pas très mature à mes yeux et ne représente tout
simplement plus ma conception actuelle de la musique et du son. Au contraire je trouve
cela très positif d'avoir un il critique sur ses uvres passées, ce serait
horrible s'il n'existait aucune évolution. Même si c'a été super de faire à cette
époque un disque dans des conditions " professionnelles " et de pouvoir le
sortir, je pense aujourd'hui que nous aurions mieux fait d'attendre jusqu'à
"Abschiedsreigen". Même si "Nachtgedanken" a été globalement bien
acueilli par la presse, je pense que cet album ne présentait pas correctement le plein
potentiel d'Enid.
Pour en venir à la première partie de ta question : le procédé exact est on ne peut
plus simple. Il y avait sur mon clavier (Yamaha, PSR-6000) un son merveilleux (!?) appelé
Distortion-Guitar. Je l'ai un peu bricolé avec la section synthétiseur, puis recouvert
d'un effet supplémentaire de distorsion metal."
Aujourd'hui tu composes toujours l'ensemble des parties de guitares, mais tu
les distribues aux membres du groupe. Est-ce que ce fut un sentiment étrange de voir pour
la première fois des gens interpréter tes créations ?
Martin: "Non. J'ai l'habitude de cette façon de travailler avec la
composition clasique. J'ai déjà bossé sur mes propres compositions avec un petit
orchestre, et c'est toujours le même processus : le compositeur crée les partitions et
donne les lignes de voix et d'instruments aux musiciens. Il faut se le représenter à peu
près de cette façon en ce qui concerne Enid. Chaque membre reçoit pour ainsi dire un
" guid e " qui contient
toutes les informations sur les lignes - leads, guitares rythmiques, basse (lorsqu'il y en
a)."
T'est-il déjà arrivé de t'énerver - intérieurement ou extérieurement -
lorsque l'un ou l'autre membre avait des difficultés à jouer une de tes parties ?
Martin: "Hehehe! Certainement, oui. Et pas seulement intérieurement.
En studio, on souffre toujours avec le musicien lorsque quelque chose ne marche pas. Ce
n'est pas un reproche, car cela peut arriver à n'importe quel musicien, nous ne sommes
pas des machines en fin de compte. Ceci dit ça m'irrite lorsque quelqu'un a eu deux mois
pour s'exercer et n'est tout de même absolument pas capable de reproduire ses lignes.
Cela n'est pas acceptable, surtout parce que ça freine la progression de l'ensemble du
groupe. Si ça se produit, alors je peux me mettre réellement en colère..."
Alboîn: "Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Martin et
" réellement en colère ", c'est une image qui vaut le détour ! ;-)"
Pour cet album vous avez de nouveau embauché Moritz Neuner à la batterie.
Pourtant vous avez déjà essayé deux batteur, et si je ne me trompe l'un d'eux est
membre permanent d'Enid à l'heure actuelle. Dans quelle mesure les parties de batterie
sont-elles donc à tel point complexes que seul un extra-terrestre de la tremps de Moritz
puisse les jouer ?
Alboîn: "Notre premier batteur Marlek est un frappeur assez bon et
très rapide, mais c'est un autodidacte. Pour certains morceaux, comme par exemple
Patience's Ring', son style s'adapte à merveille, mais pour les parties en
filigrane, plus techniques, il s'est avéré trop inexact. En fait c'est un batteur live
fantastique, car il joue très fort et avec beaucoup d'énergie. Ce dont nous avions
besoin pour l'enregistrement du CD, c'était cependant un batteur qui puisse jouer au clic
près et qui ait une formation classique. Les parties de batterie de Martin ne sonnent pas
très compliquées à la première impression, mais elles regorgent de détails et de
changements de tempo ou de touché. Comme nous ne disposions que de très peu de jours en
studio, nous ne pouvions pas passer une éternité à enregistrer la batterie. Moritz est
pour nous le batteur idéal, il apprend vite et est indépendant, et il perfectionne le
moindre détail. Il est polyvalent et joue comme une machine. Ce serait sûrement possible
à Marlek ou à notre nouveau batteur Bert de jouer sur un tel album. Mais cela prendrait
certainement une bonne semaine avant que chaque détail soit bien en place. Les beats de
base sont faciles, mais on peut rester indéfiniment bloqué sur une broutille pourtant
très importante au final.
Lors de notre premier concert du 23 février, nous avons joué aussi bien avec Marlek
qu'avec Bert. Les deux sont de bons batteurs, Bert est plus le genre technique et Marlek
le genre rustique. Tous deux sont encore jeunes et talentueux, mais malheureusement pas
encore aussi complets que Moritz. Ca peut sembler dur à entendre, mais ce n'est pas
méchant, loin de là. C'est juste que Martin ne veut pas limiter ses compositions et nous
devons donc tout mettre en uvre pour les rendre fidèlement à 100%. D'ailleurs s'il
venait à composer une partie de guitare rythmique que je ne suis plus capable d'assurer,
je donnerais volontiers ma place à un meilleur guitariste."
Pouvez-vous donner un aperçu d'ensemble de l'album ? Que représente chacune
des chansons pour toi, Martin ? Et toi Florian, peux-tu te ranger spirituellement aux
textes et à la pensée globale de Martin ?
Alboîn: "Pour moi ça ne se discute pas de savoir si je suis du même
avis que Martin. Je crois que nous sommes très différents dans bien des aspects de notre
pensée, nous avons des opinions diverses sur certaines choses et nous sommes disputés
suffisamment souvent. Cependant nous nous complétons très bien grâce à cela, ce
pourquoi je suppose qu'Enid ne pourrait plus fonctionner si l'un d'entre nous venait à
arrêter. Nous ne pourrions pas mieux nous épauler mutuellement que nous le faisons
maintenant, c'est pourquoi il est même positif que nous soyons éloignés l'un de l'autre
dans certains domaines. Malgré tout, nous semblons avoir quand même une base commune, à
savoir l'amour de la musique en tant que forme artistique et la passion de créer. Nous en
revenons toujours là, c'est pour cela qu'Enid existe.
Le contenu de ses textes demeure souvent cadenassé pour moi. Son style est très
métaphorique et bien plus personnel qu'on peut le croire à la lecture. C'est une
personne très introvertie contrairement aux apparences, et même pour moi qui le connaît
depuis 6 ans il reste souvent une énigme. Beaucoup dans les textes d'Enid tourne autour
de la vie et des croyances, si on peut le résumer ainsi. Je suis quelqu'un de bien plus
romantique que Martin, et j'ai des convictions bien précises. Lui est quelqu'un de
sensiblement rationnel (même si ces deux qualificatifs semblent s'exclure...) et a des
tendances athées. En principe nos façons de pensées se rejoignent tout de même sur un
axe, celui de l'individualité et de la Nature en tant que divinité suprême."
Martin: "Oh OK, quand on lit ça on pourrait carrément
avoir l'impression que Florian me connaît. J'ignore comment ce bon vieux Flo - ah,
pardon, frère Alboîn - interprète le mot " romantique " (soit il veut dire
par là les comportements répandus lors de la parade nuptiale, soit - comme c'est mon
avis primaire - la manière de concevoir la vie que je qualifierais de romantique, à
savoir la mélancolie d'un être rêveur et attaché à la Nature) mais après tout ce
qu'il écrit, il ne me connaît véritablement que sous un seul angle (Note de Florian :
peut-être bien, je ne connais en effet pas ton comportement lors de la parade nuptiale
;-)). C'est vrai que je pense et réagis de façon très rationnelle vis-à-vis des choses
de la vie quotidienne. Je me suis trouvé une façon d'appréhender la société qui est
froide, pragmatique, certes amicale mais distante (ceci exclut le comportement avec des
personnes amies). Avec Florian notre relation conduit souvent à ce que soit il
m'idéalise en génie, soit il me traîte comme un nigaud fini, tout dépend de ce qui lui
convient au moment présent. Que cela entraîne des problèmes coule de source, mais ce
sont des problèmes loin d'être infructueux pour notre travail commun. Je qualifierais
Florian de radical dans la formulation de ses opinions et de très rigoureux et direct
dans ses actions, alors que moi, au contraire, essaye de rechercher le compromis et de
contenter chacun lorsque c'est possible. Pour ce qui est du romantisme, je pense
sincèrement qu'Alboîn et moi-même sommes parents. Je n'en révélerai pas davantage.
Ce que les chansons signifient pour moi n'est pas simple à exprimer. Elles sont, comme
Alboîn l'a déjà fait remarquer, certainement plus personnelles qu'on pourrait le
penser, mais elles n'ont rien à voir directement avec ma personne. Elles naissent
cependant d'un sentiment personnel, ce qui les rend " personnelles ". Ce que je
veux dire, c'est que l'histoire des lyrics n'a rien d'autobiographique, ce ne sont que des
histoires qui jaillissent dans mon esprit d'émotions particulières. Ceci dit les paroles
ne sont jamais exclusivement émotionnelles, mais également intentionnelles, ce qui veut
dire que toutes peuvent contenir un message plus ou moins caché envers l'auditeur. Ce
n'est pas que de la pure narration, mais nécessite l'interprétation, la réfléxion sur
le sens des mots. On ne découvre pas tout à la première lecture, mais souvent bien plus
tard. De ce fait je n'en raconterai pas plus sur les poèmes. La signification des
chansons réside également pour moi dans l'effet interactif des paroles avec la musique.
Beaucoup de passages textuels sont transportés par des mélodies qu'on peut garder en
tête des journées entières sans pouvoir s'en défaire, ce qui a pour conséquence que
l'on s'attache aussi inconsciemment mais très intensément au texte."
Une phrase dans le refrain de "Land of the Lost" a accaparé mon
attention : "Save me from the numbness of the so-called fellow creatures, free me for
to live and not to be lived by the mass". Plus j'y songe, plus ça sonne comme de la
misanthropie pure et simple... Pourtant tu es quelqu'un de si aimable et ouvert au monde !
J'ai certainement mal interprété cette expression. Que souhaites-tu exprimer avec ce cri
du cur ? Trouves-tu une certaine partie de l'humanité répugnante ? Te sens-tu sur
le point d'exploser lorsque tu es encerclé par une foule ?
Martin: "Oui, définitivement. Cette chanson est certainement la plus
directe et la plus émotionnelle de Seelenspiegel'. Elle se compose, vulgairement
exposé, de haine contre la société et sa superficialité. Aimable et ouvert ne veut
absolument pas dire que l'on doit ouvrir la porte à la stupidité et l'abrutissement du
monde. Je considère l'ouverture au monde davantage comme un moyen de positionner son
être et son individualité par rapport à autrui et d'élargir son horizon, par
opposition à toutes les tendances stupides, médiocres et superficielles de la
génération des loisirs."
Je dirais à brûle-pourpoint et vulgairement que "Seelenspiegel"
est construit de façon relativement symétrique. D'une part on retrouve ces chansons
évolutives à plusieurs étages qui remémorent le Enid d'auparavant (je peux citer
"The Forbidden Site" ou bien "Helios' Niedergang"). D'autre part il y
a maintenant de purs hits très catchy. Ne pouviez-vous par exemple pas vous permettre un
morceau tel que "Land of the Lost" dans la configuration originale d'Enid à
cause du manque de guitares, ou bien est-ce uune facette de composition que vous avez
récemment adoptée ? Peut-on attendre un équilibre similaire à l'avenir, ou bien
voulez-vous devenir encore plus " heavy " ?
Martin: "Je ne veux pas tirer de plans sur la comète à propos de
l'évolution future d'Enid, mais personnellement notre diversité me plaît telle qu'elle
est en ce moment, parce qu'elle alterne bien avec le contenu des textes, et pas seulement
par un besoin de variété. Lorsque j'écris un texte (et c'est généralement par là que
je commence), je ne commence pas d'emblée à projeter telle ou telle structure. Le
contenu est au premier plan et le résultat procède très logiquement (il est difficile
de le décrire autrement). La diversité à mes yeux ne découle pas d'une planification -
dans ce cas là il n'y aurait automatiquement aucune richesse dans la diversité, puisque
celle-ci serait structurée, bien qu'il y ait aussi une diversité construite. En y
réfléchissant bien, prend une route de campagne avec un saule, un chêne, un saule, un
chêne, comme ça pendant dix kilomètres : c'est aussi une forme de diversité (NdJ : Vu
comme ça...).
Je pense que beaucoup de chansons sont plus catchy tout simplement parce que ce sont
désormais des êtres humains qui les jouent. J'ai beaucoup eu recours aux guitares et les
ai agencées de façon bien plus flexibles, parce que j'avais la possibilité de faire des
choses qui ne sont tout bonnement pas dans un synthé. L'innovation majeure sur
Seelenspiegel' est cependant la fusion et l'équilibre des différentes familles de
son. Cette tendance va sûrement ne faire que s'affirmer à l'avenir."
A propos nous avons la chanson "Helios' Niedergang": est-ce une
sorte de "Tribute à Richard Wagner"? Elle me semble en effet être bâtie comme
une pièce typique d'opéra teuton, avec l'emphase, les envolées lyriques, etc.
Martin: "Comparer ce morceau à Wagner est absurde. Premièrement
Wagner sonne tout autrement, ensuite je n'essaierai jamais volontairement d'émuler Wagner
(ce qui ne veut pas dire que je n'apprécie pas sa musique, bien au contraire). En parlant
de pièce d'opéra tu es déjà plus proche de la vérité. Le morceau est naturellement
plus porté par le texte récitatif par rapport au chant. De plus il possède dans sa base
des racines dramatiques plus que toutes les chansons précédentes d'Enid."
A présent vous êtes mûrs pour les concerts. Concrètement, y a-t-il une
chance de voir Enid partir en grande tournée européenne ou illuminer la scène du Wacken
? Blague à part, quels seraient vos headliners rêvés ?
Alboîn: "Nous sommes tout au moins capables de nous produire sur
scène, c'est déjà ça. Pour ma part je souhaite nous épargner des plans de tournée
dès à présent. Ce ne serait pas très malin de risquer de briser notre complicité
naissante en tant que groupe en brûlant ainsi les étapes. De même pour les festivals,
je ne pense pas que cela aie du sens d'y participer au point où nous en sommes, je
préfère laisser ça - peut-être - pour le prochain album.
Des headliners rêvés ? Ca me botterait sacrément de jouer avec Cannibal Corpse et de me
déchirer le citron avec eux en backstage. De tenir des messes noires dans le tourbus avec
Dark Funeral. De valser à poil dans la neige avec Immortal. De prendre des poses
d'assassins en compagnie de Marduk et de faire des concours de vomi contre Hypocrisy.
D'emballer des groupies avec Dimmu Borgir ou Raise Hell. Ou peut-être de faire un slam
général dans la batterie avec Mayhem. Oh que oui !! Il y a tellement de groupes
artistiquement inestimables avec lesquels un concert vaudrait le coup...
Sérieusement : la plupart des groupes avec lesquels j'aimerais beaucoup jouer (en raison
de leur musique fantastique et pas de leur nom...) ne se produisent justement pas sur
scène - Summoning, Empyrium, Rimmersgard... Mais je trouverais déjà très sympa d'avoir
Nightwish en headliner, encore mieux Falkenbach lors d'une soirée avec Sear Bliss Menhir,
Vindsval, Ordo Draconis et quelques autres. Ce n'est pas très réaliste, mais tu me
demandes mes headliners de rêve, alors..."
Martin, je t'ai entendu dire que tu as fait de la musique carrément le sujet
de tes études. Peux-tu expliquer exactement ce que tu fais et ce que tu souhaites
atteindre professionnellement ?
Martin: "Dans un premier temps j'étudie la musique pour devenir
professeur et j'en suis au niveau secondaire. J'envisage ainsi de poser des jalons
théoriques solides avec lesquels il me sera possible d'exercer un métier rémunérateur
dans ce domaine par la suite. Plus tard je projette, si cela fonctionne, d'étudier plus
profondément soit la composition, soit le chant voire la musique de film."
Je crois avoir lu quelque part que tu voulais arrêter le chant hurlé parce
que cela pouvait mettre en danger ta voix claire à long terme. Néanmoins c'est toujours
toi qui fais les vocaux black sur "Seelenspiegel", et ce samedi tu as encore
beuglé comme c'est pas permis. As-tu changé d'avis ? Est-ce que tu es devenu accroc au
hurlement, ou bien est-ce que vous n'avez pas pu trouver de remplacement satisfaisant au
micro ? Est-ce que Florian ne pourrait pas prendre ce volet en charge, lui qui a tout
exterminé sur la reprise de "Deathcrush"!
Martin: "Hurler fait du bien, oui. Mais sur le fond tu as raison. Ce
serait mieux de ne pas pratiquer ce type de chant trop souvent, mais de temps à autres je
ne peux pas m'en passer. Ce sera toujours moi qui m'occuperai du chant black sur nos
prochains albums."
Alboîn: "Juste une petite remarque : je n'ai exterminé rien ni personne. Cette
performance en live était complètement improvisée, et sur l'enregistrement de ce
Crush of Death' pour notre 10" MLP Der Tag zur Nacht sich senkt' c'était
notre ex-bassiste Tarak qui était responsable du chant. Je suis moi-même d'avis que mon
chant hurlé n'est pas assez bon pour un enregistrement."
En ce qui te concerne Flo, tu as apparemment renoncé à ton rêve de
journalisme professionnel. Raconte-moi ce qui t'a dissuadé dans ce milieu. Quels conseils
donnerais-tu à un jeune écrivain qui souhaite lancer son propre fanzine ?
Alboîn: "Cette question est injuste. Mais j'y réponds dans l'ordre:
1. Si j'avais voulu devenir journaliste professionnel, je n'aurais certainement pas
atteint ce but avec mon fanzine ou mes diverses participations dans des magazines metal
(NdJ : Legacy, Ablaze). J'aurais étudié le journalisme et j'aurais du me prendre la
tête au sein d'un journal quotidien avec les associations locales d'éleveurs de colombe
ou les pompiers bénévoles, ou bien encore les vicissitudes déshonorantes de la
politique. Mais je n'ai pas envie de tout cela. Ces dernière années ma créativité
écrite s'est rapidement dégradée parce que je me sentais sous pression, obligé de
livrer quelque chose à une date donnée. Je n'ai pas voulu sacrifier toute ma capacité
à écrire et me suis ainsi décidé à ne publier quelque chose que lorsque ça voudra
sortir.
2. Ce qui m'a dissuadé c'est l'incroyable stupidité et rigidité de ceux qui régissent
le côté journalistique de la scène metal. Presque tous bradent honteusement ce qui fait
justement la dignité du journalisme, à savoir l'objectivité, la vérité, le sens
critique et le courage d'opinion. Je n'avais plus envie de devoir arroser de lauriers tel
ou tel mauvais album ; je n'en pouvais plus de devoir lire ou écrire des interviews sur
le même schéma, qui plus est presque toujours débouchant sur le même contenu. Et de
plus le comportement hypocrite, quasiment servile de beaucoup d'écrivains vis-à-vis de
" leur " style me filait la nausée, cela m'a poussé à prendre mes distances
de cet entourage.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si beaucoup d'écrivains talentueux qui étaient
autrefois actifs dans la scène metal ont choisi de progressivement s'en désengager -
Timo Kölling, Thor Wanzek, Stefan Belda et bien d'autres. Toi-même tu commences si je ne
me trompe à développer une certaine frustration, non ? (NdJ : Ca dépend à quel niveau
on se place, disons que je n'ai jamais été confronté à des gens qui me disent quel
groupe interviewer ou quelle note mettre à un album)
3. Un conseil pour les jeunes faiseurs de fanzines ? Ca pourra une fois de plus sonner
très destructif, mais c'est mon conseil sincère : ne jamais commencer ! D'un autre
côté peut-être que l'expérience est nécessaire, je ne saurais pas dire. Mais je suis
certain qu'il y a des directions plus sensées dans lesquelles on peut exercer sa
créativité. Soyons francs : qui a aujourd'hui besoin d'un fanzine ? Qui a seulement
besoin de cette flopée de fanzines tirés à 30 exemplaires ? Le seul argument recevable
est celui de l'accomplissement personnel, afin de justifier une existence. Depuis un an je
n'ai plus lu de fanzine excepté le numéro 2 de Mandrake (NdJ : réalisé par Rahab
d'Ordo Draconis, ami de Florian). Je n'ai pas l'impression de manquer d'information. Je ne
regrette rien."
J'ai ici par écrit une poignée de diatribes de ta part concernant les
derniers albums d'Emperor et Enslaved, que je préfère passer sous silence. Comment te
situes-tu par rapport à l'évolution générale de la scène metal, a fortiori des deux
groupes précités en tant qu'ex-porte-drapeaux d'un idéal musical ?
Alboîn: "Tu peux parfaitement citer ces déclarations, je persiste et
signe. Je trouve ces deux albums atroces. Le nouveau Emperor est la tentative
désespérée d'entasser sur un CD en quantité abusive du savoir-faire musical et de
l'ingéniosité. On voit bien ici encore à quel point ce cadre métallique est en
définitive étroit, et comme il est difficile de le transcender. Je n'aime tout
simplement plus l'expresion musicale d'Ihsahn, elle est devenue impersonnelle, froide et
trop fabriquée de toutes pièces, en un mot elle éclipse toute adhésion intuitive.
Emperor auraient du splitter après " Anthems... ".
Et Enslaved est un cas à part. Je connais des gens avec beaucoup de goût qui aiment
aussi le nouvel album (NdJ : J'espère qu'il parle de moi !). En gros ce n'est pour moi
guère plus que que du death metal chaotique avec des arrangements progressifs, qui n'est
ni séduisant ni spécialement impressionnant techniquement parlant.
Dans les deux cas on ne peut de toute façon plus parler d'idéal. Ce fougueux idéalisme
- si l'on peut appeler ça comme ça - des jeunes années de ces deux groupes est
désormais loin derrière. Avec le savoir-faire est arrivée la confusion, le charme s'est
évaporé. Ca se passe comme ça pour la majeure partie des groupes. Même les groupes
célébrés aujourd'hui comme les leaders du black metal, tels Immortal, Dimmu Borgir et
consors ne sont plus que l'ombre d'eux-même, se copient mutuellement en permanence et ne
jouissent plus d'aucune reconnaissance indiscutable sur la durée. La plupart des
nouvelles sorties ne sont plus que du bruit pour le bruit, elles me tapent sur le système
! Cela peut s'expliquer par le fait que je suis devenu extrêmement sensible et
difficile... mais bon un album comme le dernier Summoning par exemple est pour moi sans
pareil. Au contraire de tous les albums de ces derniers mois, celui-ci on peut se
l'écouter en boucle sans se lasser."
Comment réagis-tu lorsque quelqu'un critique violemment Enid ?
Alboîn: "Ah, ça c'est une question piège ! Je suis un garçon très
impulsif qui se sent hélas très facilement attaqué et qui a tendance à vouloir se
défendre - même lorsqu'il n'y a pas de raison pour cela. Enid est aussi comme mon sang,
même lorsque c'est la musique qui est critiquée, même si ce n'est pas moi qui l'ai
écrite. Je n'ai rien contre les critiques constructives, j'en redemande au contraire ;
mais certains gratte-papiers pondent de telles inepties que les bras m'en tombent. On n'a
pas le droit de se comporter de manière aussi dilettante et de descendre un album lorsque
l'on n'y connaît absolument rien. Le seul résultat est de se couvrir tout seul de
ridicule et de se griller aux yeux des lecteurs avertis. Et puis un minimum d'objectivité
devrait être présent chez un chroniqueur, ne serait-ce qu'un chouïa.
Je pourrais très bien fermer ma gueule dans ce type de situation, mais je me dis que sans
cette émotivité aiguë et cette capacité de tout prendre intensément, beaucoup de
choses et d'expériences primordiales me resteraient aussi fermées."
Vous est-il déjà arrivé de vous contredire mutuellement dans une interview
?
Alboîn: "Nous nous concertons toujours pour savoir ce qu'on va
raconter comme mensonges. Non sans rire, nous nous contredisons en effet dans certains
secteurs, mais pour des questions plus personnelles ce n'est guère étonnant. Nous tirons
toujours quelque part dans une direction opposée, même lorsqu'il s'agit de nos objectifs
personnels avec Enid. Heureusement ces contrastes nous amènent toujours à concilier nos
forces. Pour ce qui est des questions sur l'histoire du groupe, les contradictions sont
pour ainsi dire inexistantes. Ca peut arriver que l'un de nous se trompe de quelques mois
pour tel ou tel événement biographique, ou bien que Martin ait une opinion un peu plus
tempérée que la mienne au sujet de l'affaire CCP Records, mais ce serait bien triste si
nous étions à ce point conformes l'un par rapport à l'autre."
A présent j'ai une question que personne ne vous a jamais posée. Pourquoi
êtes-vous des clones de Summoning ? (Vous n'êtes pas forcés de répondre) Avec
"Seelenspiegel", vous vous amendez d'ailleurs définitivement de ces
références à Summoning. Quelle est votre réponse définitive aux gens qui vous ont
rangés aussi catégoriquement dans un tiroir ? Avez-vous seulement ne serait-ce qu'une
fois repris une chanson de Summoning confortablement installés au studio Wiesensound de
Martin ?
Alboîn: "Bing... En effet c'est une question qu'on ne nous a encore
jamais posée... Pour être honnête je commence à en avoir par dessus la tête de
répondre à des questions sur le thème de Summoning. Si j'avais su à l'époque où ça
nous mènerait, je n'aurais jamais mentionné ce nom !
Je pense que tu as raison - Seelenspiegel' n'a absolument plus rien à voir avec le
style de Summoning, si ce n'est que nous utilisons des guitares et des claviers comme eux.
Si quelqu'un vient à prétendre le contraire, il ne connaîtra vraiment rien à la
musique. Pour ceux qui nous ont traîtés de clones, ce qui est bel et bien arrivé, ils
doivent au moins maintenant accepter que ces temps là sont révolus.
Sans ça je trouve Summoning toujours aussi fabuleux, et nos premières compositions
avaient, c'est vrai, aussi beaucoup d'atmosphère. C'était un peu comme un hommage,
l'expression est plus appropriée que " reprise "..."
Martin, tu semble être très
assidu et créatif. Mènes-tu des projets parallèlement à Enid ?
Martin: "Oui, des tas, mais qui n'ont rien à voir avec le metal et qui
ont aussi plutôt une nature ponctuelle et non pas à long terme comme Enid. En ce moment
je travaille à un projet de musique de film (un court-métrage de 15 minutes). Je songe
encore à écrire une sorte de comédie musicale, entre autres choses. Un projet metal
supplémentaire ne me motiverait pas du tout, car Enid accapare la totalité de mon
énergie dans ce domaine."
Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il en est de la démo de Old Man's Chicken ?
Qu'est-ce que c'est que ce délire ? Est-ce que Galder vous a déjà menacé de
représailles ?
Alboîn: "Oh, nous sommes juste un peu dérangés, tu sais. Old Man's
Chicken est né après Nachtgedanken', comme le résultat de quelques heures de
lycée terriblement ennuyeuses que nous avons mises à profit pour écrire des textes sur
les poules et les caqueter à voix basse. Puis nous nous sommes rencontrés, avons jammé
un peu pour le fun, j'ai joué de la basse (d'ailleurs nous avons enregistré de vraies
guitares sur cette démo) et Martin a crié ses textes. A la suite de quoi nous avons
programmé une boîte à rythme et en l'espace d'une journée improvisé et enregistré
quelques morceaux. Tous les styles étaient représentés, du black au death/grind en
passant par le punk, la musique folklorique afro, etc. - cette histoire d'OMC a été
extrêment amusante. Il est toujours possible de télécharger ces morceaux sur notre site
www.enid-webrealm.de pour ceux qui ont le courage d'affronter notre bêtise...
Ah oui, Galder ne s'est naturellement pas manifesté, encore heureux..."
En Allemagne on trouve pas mal de groupes avec une forte identité
régionaliste, et ceci en particulier dans l'ex-RDA (je pense notamment à Menhir pour la
Thuringe, Grabak ou Rimmersgard pour la Saxe...). Que pensez-vous de ce phénomène ?
Autant que je sache vous ne faites pas vraiment l'apologie de la Rhénanie du Nord dans
vos chansons. A votre avis, est-on plus facilement fier de sa terre et plus attentif à
son héritage culturel lorsque l'on habite une région qui est sans cesse en proie à des
difficultés d'ordre politique ou économique ?
Alboîn: "Je ne me suis jamais penché sur la question... Mais c'est
bien possible, oui, car cette identité est en effet plus forte dans les nouveaux
Bundesländer que dans les anciens. Il faut ajouter qu'ici en ex-RFA il n'y a pas grand
chose de quoi l'on puisse être fier. La fierté de notre histoire a été bafouée, ce
qui en partie n'est pas injustifié... Au niveau paysages le coin n'a rien de spécial à
offrir (NdJ : à qui le dis-tu...) et la plupart des gens sont tellement abrutis (NdJ : à
qui le dis-tu 2...) qu'on devrait plutôt avoir honte de vivre ici que ressentir la
moindre étincelle de fierté. Je suis moi-même Berlinois de naissance, j'ai vécu
quelques années dans les environs de Kassel, et je n'ai aucune affinité identitaire avec
le coin dans lequel je vis à l'heure actuelle (ce que je ne trouve pas spécialement
dommage).
Ceci étant, je peux très bien concevoir ce sentiment d'identité régionaliste, comme tu
l'appelles si joliment. Je pense que ça a beaucoup à voir avec l'enracinement, davantage
qu'avec les difficultés politiques ou économiques. C'est un gros sentiment
d'appartenance, d'amour du pays. Quelque chose que je ne ressens pas, mais que
j'approuve."
Les deux premiers groupes de Code666, Rakoth et Ephel Duath, ont depuis peu
signé chez Earache/Elitist. Est-ce le genre d'évolution de carrière que vous pouvez
vous imaginer à terme avec Enid ?
Alboîn: "Pour le moment je ne vois aucune raison de changer de label,
vraiment pas. Il n'y a pas lieu de vouloir plus que ce que nous offre Code666. Nous n'en
sommes qu'au début de notre développement, nous ne sommes pas capables de fournir un
travail complètement professionnel qu'exigerait un label comme Earache, et nous obtenons
de Code666 tout ce dont nous avons besoin. Et puis même pour un petit groupe de chez
Earache un orchestre dans le studio n'est pas quelque chose de réalisable. Je ne veux pas
exclure que nous changions un jour de label, mais nous avons un contrat pour 4 albums et
avons bien l'intention de le remplir. J'espère qu'Enid et Code666 croîront main dans la
main dans les mêmes proportions."
Avez-vous l'intention d'ouvrir un stand de saucisses ?
Alboîn: "Moi pas vraiment. Sauf si nous le possédons, pouvons
financer nos excès par ce moyen, et si c'est toi qui vend les saucisses ;-) A ce moment
là je serais même prêt à payer la moutarde de ma poche. A cette occasion je tiens une
nouvelle fois à te remercier chaleureusement pour ton aide !!! (NdJ : cf. rapport de
concert du 23 février)"
Quel est/était votre dessin animé favori ?
Alboîn: "J'ai un problème avec cette question, en fait je n'ai jamais
beaucoup regardé la télévision et même quand j'étais gosse je ne regardais les
dessins animés que de temps en temps. Mes connaissances dans le domaine sont donc fort
modestes, et puis je n'ai jamais eu une grosse affinité envers, par exemple, les Simpsons
ou Darkwing Duck, que sais-je encore. Quant aux dessins animés sérieux, je n'en connais
encore aucun à l'exception de celui, plutôt insignifiant, du Seigneur des Anneaux. Donc
je dois malheureusement sécher sur cette question."
Pourquoi le coq a-t-il traversé la rue ?
Alboîn: "Je ne sais pas ce que Martin va dire là-dessus, mais pour ma
part je juge cette affaire là prédestinée ! Il était écrit que le coq la
traverserait, cette rue. Tiens, déjà un fameux conteur populaire n'avait-il pas
anticipé les conséquences de cette entreprise du destin : " le coque est mort
" (NdJ : En français dans le texte), ou comment était-ce ? Mon français est à ce
point sinistré - ou bien, pour reprendre une figure de Herman Hess dans Peter
Camenzind': " c'est regrettable qu'il n'existe pas de note inférieure à 0, je situe
ta performance actuelle à -2,5 ". Mais oublions ça. Encore une fois j'aime bien
simplifier les choses en réduisant la situation à ce qu'il y a de plus logique :
c'était comme ça et ne pouvait pas en être autrement. Le coq aurait pu faire n'importe
quoi, il aurait tout de même fini, quoi qu'il arrive, par traverser la rue !"
Martin: "Allez soyons sérieux deux minutes, qui a déjà vu un coq traverser une
route ? S'il le fait réellement, alors ce ne peut être très vraisemblablement que le
fruit d'une pulsion instinctive et dirigée, car puisque l'on peut en général dénier
aux animaux la capacité d'un comportement intentionnel et prémédité, le coq ne peut -
comme l'a dit mon prédecesseur pour cette question - qu'avoir traversé la rue sous
l'effet d'une urgence bien précise (NdJ : Les gars vous me tuez à la traduction avec vos
phrases de dix bornes...). Que ce soit parce qu'un épi de maïs abandonné a été
l'objet de son attention ou bien parce qu'il tentait d'impressionner sa poulette dans le
feu d'un rituel de parade nuptiale (NdJ : Décidément ça te travaille, Martin !), ou
bien tout bêtement parce que dans un bouleversant élan de détresse il essayait de
retrouver son chemin vers la volaillère, tout cela n'est que spéculation."
Peut-être pouvez-vous sortir quelques phrases en français pour nos lecteurs
?
Alboîn: "Comme je l'ai déjà fait remarquer, c'est malheureusement
bien difficile... Je ne peux que te citer une phrase dont la sonorité m'a beaucoup plu
d'emblée, que je me suit fait traduire et dont la signification a pris beaucoup
d'importance pour moi - ce pourquoi je l'ai aussi citée dans Nachtgedanken':
La parole a été donnée à l'homme pour déguíser sa pensée.' (NdJ : Du
Talleyrand dans le texte)"
Comme de coutume je vous confie les clés pour les derniers mots de cette
interview. Je souhaite à Enid le meilleur pour le futur et espère ne pas vous avoir trop
gonflé avec mes questions stupides...
Alboîn: "J'ai trouvé l'interview vraiment super, tu te surpasses dans
le choix des questions en goût et en inspiration, sans rire ! (NdJ : C'est gênant de
traduire ça, mais de toute façon il ne le pense pas, ce grand farceur) Une des
meilleures et plus complètes interviews auxquelles j'ai jamais répondu. Pour ça je te
remercie de tout cur !
Tous les lecteurs qui après avoir souffert ces quelques pages ne nous prennent pas pour
d'irrécupérables marginaux sont cordialement invités à écouter Seelenspiegel'.
Ce n'est pas une pièce de musique facile, mais elle reflète beaucoup si on ne se laisse
pas troubler par elle. Qui veut des infos sur Enid fera bien de daigner rendre visite à
notre homepage www.enid-webrealm.de. Merci beaucoup et encore une bonne soirée !"
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