Uriel interview Sylvain de ANTHEMON
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En ce début d’année 2003, il est manifeste que nous autres métalleux n’avons que l’embarras du choix au niveau des sorties de gros calibre, et ce n’est pas fini ! Au beau milieu des réjouissances s’immisce Anthemon, dont le premier véritable album " Arcanes " est déjà une réalisation de niveau planétaire remplie à ras-bord de moments mémorables. Le toujours affable et très disert Sylvain (guitares) nous a gentiment ouvert sa porte et déballe son sac sur tous les sujets brûlants qui touchent le groupe et l’industrie musicale en général, sans omettre un détour par Star Academy… Une interview très slovène dans l’âme en exclusivité pour Violent Solutions : los geht’s !

anthe1.jpg (11539 octets)Salaam Aleikum, Sylvain. C’est non sans un certain plaisir que je retrouve un Anthemon en forme olympique ! Qu’as-tu à nous apprendre sur le cheminement interne du groupe depuis " Talvi " ? Est-ce que de nouvelles têtes sont venues grossir le troupeau Anthemon ?
Aleikum Salaam, Uriel ! Ca me fait plaisir à moi aussi de devoir répondre une seconde fois à tes interrogatoires de bourreau…Le line-up de Anthemon n'a pas foncièrement changé depuis "Talvi". Seul Sébastien Latour est nouveau venu dans nos rangs, non pas en remplacement de quelqu'un, mais en temps que claviériste à temps plein. Trouver un maître ès claviers digne de ce nom n'a pas été simple mais nous avons enfin trouvé notre perle rare. Les autres membres du groupe, y compris les nouveaux venus lors de la préparation de "Talvi", à savoir Alexande Kohler (guitares) et Nathalie Bonnaud (chant), sont toujours là. Anthemon est un groupe soudé et les multiples changements de personnel font partie du passé, souhaitons que ça dure parce que nous bénéficions d’un line-up qui tient bien la route depuis un certain temps maintenant et tout ce petit monde attache beaucoup d'importance à Anthemon et s’investit beaucoup pour le groupe.

Que penses-tu de la scène slovène ?
Je connais aussi bien la scène slovène que tu maîtrises le chromodynamisme quantique... (NdJ : t’as raison, pour moi le quark c’est plutôt une sorte de crème fraîche aux fines herbes typiquement germanique !). J'espère avoir répondu à ta question ! Plus sérieusement, à part Laibach, je ne connais pas de groupes slovènes.

Vous êtes allés faire produire et mixer l’album jusqu’en Finlande ! Peut-on avoir un aperçu des circonstances qui ont conduit à ce choix ? Avez-vous fait appel à des personnes que vous connaissiez personnellement de longue date ? Ensuite, est-ce que le différentiel de qualité entre ce que vous pouviez obtenir en France et le résultat tel qu’il est justifie les coûts et les efforts liés à un tel périple ?
Je précise que les "basic-tracks" ont été enregistrés en France par nos soins, seules les étapes de mixage et de mastering ont été réalisées en Finlande. Ce choix s'est justifié pour plusieurs raisons. Il y bien sûr la qualité des studios Scandinaves en général, Finlandais en particulier, pour un rapport qualité/prix extrêmement avantageux par rapport à ce que l'on peut faire en France, notamment en matière de Metal, et plus spécifiquement en matière de Metal Atmosphérique. J'ai proposé de mixer aux Tico Tico avec Ahti Kortelainen aux autres membres d'Anthemon, car connaissant la qualité de ses productions antérieures et ayant rencontré le personnage lors d'un précédent voyage en Finlande, il paraissait évident que c'était l'homme de la situation. Ahti fait son boulot et ne se prend pas la tête avec le reste. En France, on constate que les ingés-son ont souvent un petit problème d’égo et c'est tout juste si les groupes ne doivent pas être à leur disposition. Cette situation me gêne. Collaborer avec Ahti a été une expérience très intéressante pour Anthemon, autant au point de vue de la qualité du travail fourni que du bond en avant qu'elle nous a permis d'effectuer. Ensuite, le choix de Mika Jussila pour le mastering allait de soi, ce dernier ayant l'habitude de passer derrière Ahti pour cette étape finale de la réalisation d'un album. Nous avons souhaité, au sein d'Anthemon, passer un cap supérieur et de ne plus considérer l'enregistrement et la production d'un disque comme l'accouchement d'une musique sur bandes. Une bonne production adaptée à la musique que l'on joue a une influence très importante sur la qualité finale d'un album parce qu'elle la met en valeur. Et pour en bénéficier pleinement, il nous a fallu aller à l'étranger. Quant aux autres intervenants, à savoir Alain Ugolini pour superviser les prises de batteries et Mathieu Marietti pour enregistrer le chant, nous connaissions très bien le premier, qui avait déjà fait de l'excellent travail pour "Talvi" et pas du tout le second, qui s'est avéré d'une aide précieuse, en jouant le rôle d'oreille externe au groupe. Pour en revenir au choix de partir en Finlande pour finaliser "Arcanes", évidemment que le jeu en valait la chandelle. Outre l'atmosphère plus sérieuse qui règne là bas, on sait qu'on peut parler Metal sans devoir expliquer le sens de cette musique et comment la faire sonner.

Existe-t-il quelque anecdote croustillante liée à ce stage studieux au pays des mille lacs ? D’ailleurs, toi qui si je ne m’abuse a quelques accointances avec des musiciens et professionnels locaux, quelles différences principales peut-on mettre en exergue entre les milieux underground finlandais et hexagonal au niveau des mentalités et de la façon de s’organiser, d’appréhender tout le business autour de la musique ?
J'en ai déjà un peu parlé lors de la question précédente, la manière d'envisager les choses est très différente. En France, dès qu'on touche au domaine artistique, à la musique en particulier, on touche à l'usine à rêves et les personnes faisant partie de ce milieu ont tendance à se prendre pour des élus. Sans forcément avoir les compétences nécessaires, soit dit en passant. De plus, les ingés-son possédant une réelle capacité à faire sonner du Metal n'ont pas forcément le matériel adéquat à leur disposition. Alors que dès qu'on pose le pied dans un studio digne de ce nom, le personnel tique à la moindre mention du mot "Metal" et le relatif "je-m’en-foutisme" de ces gens est agaçant. Sans parler des prix prohibitifs. Je ne veux pas paraître trop dur, mais c'est pourtant la réalité. En Finlande, l'art est partout. Dès que tu tournes la tête, tu vois un lac ou une forêt. Avec une si belle nature, la mentalité ne peut qu'être différente. Et depuis l'explosion commerciale du Metal en provenance de Finlande, il est évident que le professionnalisme est de rigueur. Quand je parle de professionnalisme, je ne parle pas forcément de gagner sa vie en faisant de la musique, mais de faire en sorte que tout soit toujours fait pour le mieux, sans rechigner à la tâche. Ce n'est pas par hasard si un petit pays de 5 millions d'habitants est si prolifique en matière de musique. Et pas seulement en Metal. Je n'ai pas d'anecdotes à raconter, du moins pas dans ce cadre, l'absence de contexte leurs ôterait tout intérêt, mais cela a été une très belle expérience humaine et musicale.

anthe8.jpg (18552 octets)Que vous a appris/apporté sur un plan personnel toute la période durant laquelle Anthemon a été en quête d’un label ? Peut-on évoquer un chemin de croix, ou bien est-ce que les choses se sont déroulées peu ou prou comme espéré au travers des différents contacts et objectifs fixés ? En clair, est-ce que la musique est toujours un argument de poids dans la balance pour décrocher un deal ? Comment qualifierais-tu le rapport de force entre label et musiciens dans la plupart des négociations que tu as eues l’occasion d’entreprendre ?
Cette période nous a appris qu'il ne fait toujours pas bon être français dans ce milieu. Sans citer de noms, je peux te dire qu'il y a dans le paysage éditorial français de sacrés fumistes. Evidemment, la musique est loin d'être la première préoccupation des labels que j'ai en tête, mais ça, on s'en doutait déjà puisque nous avons fait un effort de présentation lors de nos démarches, un peu comme on conduit un entretien d'embauche. Personnellement, je ne trouve pas cela normal qu'on en arrive là, mais il faut accepter le jeu. Je ne vais pas entrer plus avant dans les détails mais je suis assez déçu par quelques uns des soi-disant professionnels du milieu. D’autres, bien sûr, te soumettent des argumentaires tout à fait compréhensibles par rapport à une politique de signature spécifique qu’ils conduisent et ont le bon sens de parler un minimum de musique... Bon, certains autres ne signent pas de groupes français, ils n'écoutent même pas le disque, on dirait que leur label manager a été victime d'une intoxication alimentaire au pays du boeuf bourguignon et n'a plus envie d'entendre parler de ces affreux Français pas foutus de manger de la saucisse au petit-déjeuner. Tu vois, en fait notre signature chez Thundering était inévitable et on l’avait envisagée depuis un moment, même sans proposition concrète de sa part. Nous étions en contact avec Laurent Bocquet depuis un certain temps déjà et les relations avec lui ont toujours été au beau fixe. C'est un personnage qui fait ce qu'il fait pour la musique uniquement, il dépense une énergie folle pour nous et se tient à notre disposition jour et nuit pour quoi que ce soit. Nous apprécions cette attitude. Il se comporte à l'inverse des autres labels dont je connais le fonctionnement, à savoir qu'il est là pour les groupes qu'il signe, les musiciens ne sont pas ses ouvriers. Il n'essaie pas de claquer le jackpot, et surtout, il donne une chance inestimable aux groupes en développement de continuer à subsister et d'être médiatisés.

Finalement c’est une structure encore toute jeune qui a recueilli les faveurs du groupe. Honnêtement, est-ce que tu considères votre présence chez Thundering Records comme un engagement à long terme ou comme une plate-forme de " secours " en attendant de pouvoir viser plus haut ? Est-ce que ce que vous propose ce label correspond pleinement à tes attentes, que ce soit au niveau financier, promotionnel ou humain ?
Thundering Records est un label en développement, parfaitement compétent et intègre. Ce que Laurent Bocquet a fait pour nous jusqu'à maintenant, nous ne l'aurions pas eu ailleurs car Anthemon est un groupe pour lequel il porte beaucoup d'espoir. Nous nous entendons parfaitement avec lui et il est clair qu'Anthemon est un gros poisson du label, ce qui est bien plus avantageux que d'en être un petit dans un grand aquarium. La promotion réalisée pour "Arcanes" est de très bonne qualité, et d'un point de vue financier, la démarche de Thundering est idéale. A savoir qu'un groupe offre au label un album terminé mais que les bénéfices des ventes reviennent en quasi intégralité au groupe et non pas au label. C'est un énorme avantage parce que ce système donne une entière liberté aux artistes (choix du budget de production, du studio, pas de contraintes artistiques) et que les ventes n'ont pas besoin d'être faramineuses pour bénéficier d'un budget de production décent pour l'album suivant. La base est le dialogue. Laurent prodigue des conseils, libre aux groupes de les suivre ou pas. Rien n'est jamais imposé. Quant à l'avenir, je ne sais pas, nous ne faisons pas de projections. Pour le moment, faire partie de l'écurie Thundering est une très bonne situation pour nous, sans parler de l'avantage d'être sur un label qui parle la même langue que nous et qui se situe à deux heures de train de chez nous. Enfin, la distribution française est très bonne, et l'étrangère est en devenir, de nouveaux pays s'ajoutent à la liste régulièrement.

Parlons " Arcanes " à présent. Tout en se posant en prolongement logique du style amorcé par " Talvi ", l’air qui plane sur cet album est à mon sens plus lourd et sulfureux que sur son prédécesseur. Pardonne moi cette métaphore facile, mais c’est comme si " Talvi " était un album de plein air et " Arcanes " un album de coin du feu, j’y ressens comme un besoin d’intimité nouveau. Est-ce que tu comprends et attestes ce que j’essaye d’exprimer par là ? En quoi la différence d’état d’esprit entre les deux enregistrements se répercute-t-elle sur l’état d’esprit de la musique ?
Je pense que tu es influencé par l'artwork et les textes. "Tavi" avait pour thème général le froid, l'hiver, et tous les sentiments que l'on rattache à ceux ci. "Arcanes" est construit autour du concept du mystère, des sentiments enfouis aux fonds des gens, les textes sont beaucoup plus personnels que sur "Talvi", comme une catharsis sur des événements douloureux que les auteurs des textes ont vécu ou des expériences qu'on n’oublie jamais. D'un point de vue musical, tu as sans doute raison sur le fait que "Talvi" était un disque aérien et très éthéré alors que "Arcanes" est un disque plus proche de l'élément "terre". Il y a plus de parties purement Doom, les guitares sont dans l'ensemble plus lourdes, et bien sûr le son plus puissant joue un rôle sur la tonalité générale de l'album. Néanmoins, à part la volonté de proposer des compositions meilleures que celles de "Talvi", et une progression de notre part, il n'y a pas eu de volonté réelle de parvenir à ce résultat. "Arcanes" est le produit de lui même, c'est à dire qu'un certain nombre de morceaux placés ensemble sur un disque avec un certain type de production va donner un ton général à un album. Pour ce qui est de l'enregistrement, à vrai dire nous avons pris beaucoup de temps à le réaliser, pour ne pas sombrer dans la précipitation et vraiment donner tout ce que nous pouvions faire à ce moment là. "Arcanes" était déjà né dans nos têtes depuis un moment, du coup rien n'est fait au hasard sur ce disque, et sans doute la musique d'Anthemon est-elle devenue plus sûre d’elle qu'elle ne pouvait l'être sur "Talvi". Je suis bien d'accord quand tu parles d'écouter "Arcanes" au coin du feu, c'est un album riche qu'on découvre au fil des écoutes et qui offre un univers bien à lui. Pour ça rien de mieux que de s'installer dans son meilleur fauteuil, au chaud, avec rien d'autre à faire que d'écouter la musique, et de mettre le volume au maximum !

anthem6.jpg (24595 octets)La présence de Nathalie au micro est à présent concrétisée, après les difficultés rencontrées sur " Talvi ", album qui si je ne m’abuse n’avait pas été écrit en fonction de sa voix. S’est-elle montrée très à son aise avec le style Anthemon durant les répétitions et les prises, ou bien est-ce que de lourds ajustements ont été nécessaires pour que ses interventions cadrent " al dente " avec le flux musical et l’atmosphère souhaitée ? Quel est désormais son niveau d’implication dans l’élaboration des morceaux et des textes ?
Effectivement "Talvi" a été une épreuve difficile puisque la récente intégration de Nathalie dans le groupe à l'époque et des mélodies vocales pas franchement adaptées à son type de chant ont rendu son interprétation difficile. Néanmoins, il n'a jamais été question de remplacer Nathalie, nous connaissions ses capacités et les morceaux de "Talvi" étaient bien interprétés sur scène. Pour "Arcanes", elle a co-écrit l'intégralité des lignes de chant, avec Marc la plupart du temps, et parfois en suivant les indications du compositeur du morceau pour lequel les mélodies vocales devaient être écrites. En s'investissant de la sorte, Nathalie a forcément pris confiance en elle et a fait en sorte que les lignes de chant soient adaptées a son timbre et sa technique. Une plus grande implication de sa part dans le processus créatif des mélodies vocales a été l'une des pièces de l'évolution d'Anthemon. Lors des prises de voix pour "Arcanes", nous avons mis au point de nouveaux détails et toutes les harmonies vocales, souvent tous ensemble et ça n'a jamais vraiment posé de problème. En ce qui concerne les textes, ceux ci ont été écrits en majorité par Marc, et les autres par moi-même, excepté celui de "Arcanes", écrit par une personne extérieure au groupe, que j'ai revu ensuite. Nathalie faisait des propositions pour changer certains mots ou certaines phrases pour rendre la diction plus fluide ou une partie un peu plus musicale à l'oreille.

En de multiples occasions on retrouve deux lignes de chant féminin entrecroisées, ce qui permet de jongler avec un double-canal mélodique. D’où est venue l’idée de ce procédé et est-il facile à mettre en place ? Recherchez-vous particulièrement certains effets, de type chromatique, décalage syllabique, canon, etc., ou bien s’agit-il uniquement d’augmenter l’ascendant charismatique de Nathalie en lui conférant un gros volume dans l'intervalle sonore ? Parvenez-vous à transposer l’effet lors de vos concerts à l’aide d’un sampler?
Les harmonies vocales sont composées et enregistrées immédiatement en studio, lorsque la ligne de chant "principale" est posée. Les harmonies enrichissent les parties et apportent une atmosphère ethérée que nous apprécions beaucoup. Nous l'avions déjà fait sur "Talvi", c'est devenu un des éléments de notre marque de fabrique. La musique d'Anthemon se veut riche, il en va de même pour les vocaux. Il n'y a pas de recherche d'effet particulier, je crois que lorsque l'on s'impose telle ou telle technique, on se limite trop. En fait nous procédons par essais successifs, en collant des harmonies différentes et en choisissant la plus adaptée ou la plus belle. Il ne s'agissait pas non plus d'augmenter la présence de Nathalie, le chant est un instrument comme un autre chez Anthemon. Quant à utiliser un sampler sur scène pour du chant, excuse moi mais je trouve cette idée un peu....hmmm... saugrenue ! Sur scène, il n'y a pas d'harmonies vocales puisque à ma connaissance personne n'est capable d'interpréter deux voix en même temps, mais ce n'est pas un problème. Si les artistes sonnaient strictement de la même façon sur album et sur scène, quel ennui ce serait !

Pour prolonger la question précédente, penses-tu qu’il serait éventuellement opportun d’intégrer une seconde vocaliste dans le groupe, afin peut-être de varier les couleurs et donc, pourquoi pas, de donner une nouvelle dimension scénique à vos morceaux ?
Franchement non. Outre la dimension musicale, il faut aussi voir qu'un groupe c'est un ensemble d'individus et il existe une alchimie mystérieuse qui fait que ces individus sont capables ou non de faire de la musique ensemble. Pour le moment nous fonctionnons très bien comme ça et intégrer un nouveau membre risquerait de déstabiliser notre équilibre actuel. Et nous sommes déjà 6, je crois que c'est la bonne limite ! Et pour la scène, ça ne me dérange pas que les doubles voix ne soient pas interprétées, déjà parce que nous n'abusons pas de cet effet et aussi parce que la scène demande toujours un relatif réarrangement par rapport au studio. Quant à varier les couleurs, cela fait partie de l'évolution constante du groupe. Le chant est différent sur les 3 disques d'Anthemon sortis à ce jour, et il sera encore différent sur le suivant. Au fil du temps et de nos envies, nous faisons évoluer notre musique en enlevant certaines choses, en en rajoutant d'autres, en développant certains aspects, etc... Pour le chant féminin, il est possible qu'une évolution plus radicale se produise sur le successeur de "Arcanes".

De même le chant masculin, duquel je tendais à douter sur " Talvi ", a apparemment subi une refonte bicéphale avec d’un côté un ton plus sépulcral pour la voix death, et de l’autre l’arrivée de parties de chant clair d’humeur plutôt maussade. Dirais-tu que le travail à ce niveau a eu pour but de renforcer l’aspect doom de votre musique en insistant sur des registres aux antipodes des vocaux " pop " ou " goths " que l’on retrouve souvent associés au succès du metal dit atmosphérique?
Encore une fois, les parties de chant ne sont pas aussi " calculées " que les parties instrumentales. Beaucoup de choses ont été définies durant la phase d’enregistrement et pas avant. Pour ce qui est du chant Death, il est lui même assez varié, passant du registre ultra grave pendant les parties très Doomy, et un peu plus dynamique sur d’autres passages. Les voix claires que nous avons utilisées sont celles qui nous convenaient le mieux, et il est vrai qu’un effort a été fait pour ne pas les rendre trop " pop " comme tu dis parce que nous rejetons toute assimilation à cette scène Gothic Metal. Nous ne faisons pas ce genre de musique et nous voulons être perçus comme Anthemon et pas comme un groupe de plus officiant dans une catégorie précise. Le chant masculin clair est plutôt sombre et mélancolique parce que la musique l’imposait et il ajoute un plus dans l’ensemble des morceaux pour lesquels nous l’avons utilisé. Nous n’avons pas cherché à mettre en avant l’aspect Doom de notre musique. Cela s’est fait naturellement en composant, parce que c’est un style musique que nous aimons, surtout Alex et moi-même.

Le claviériste-pianiste accomplit un bouquet de performances qui gravitent à des lieues au-dessus du rôle de faire-valoir ou d’enjôliveur occasionnel auquel sont confinés nombre de ses confrères. Comment conçois-tu l’idée d’un synthé " utile " dans la musique d’Anthemon ? Je remarque que souvent synthé et guitares se passent le relais des harmonies directrices avec une fluidité complice, cela traduit probablement un mode de composition axé sur une complémentarité autant horizontale que verticale. Une explication à ce sujet ?
Depuis les débuts d’Anthemon, tous les instruments que nous utilisons dans notre musique ont droit à la même place. D’une manière générale, je n’aime pas trop les groupes qui, lorsqu’ils utilisent guitares et claviers, mettent l’un ou l’autre en avant sans trop travailler l’autre. Les possibilités mélodiques et harmoniques que confère l’utilisation de ces deux instruments sont gigantesques, donc effectivement l’interaction entre les instruments fait partie du style d’Anthemon. Il faut savoir que chaque morceau est présenté par un seul membre du groupe déjà composé dans son intégralité, et ce n’est qu’ensuite que les autres appliquent leur touche personnelle, en proposant divers changements ou réarrangements. A ce titre, le fait qu’une seule personne soit responsable d’une composition en particulier donne plus d’unité au titre et permet justement de jouer tout le temps sur les interactions entre instruments. En ce qui concerne le travail de Sébastien, le claviériste, toutes ses parties étaient composées et il avait pour mission de les interpréter. Sur " Talvi " les claviers avaient été programmés par mes soins, donc sa présence m’a retiré un poids des épaules et qui plus est le fait qu’ils soient interprétés par un musicien et non par une machine est un plus non négligeable. Je lui avais d’ailleurs expliqué, lors de son embauche, que nous ne cherchions pas un compositeur supplémentaire mais un interprète. Seulement voilà, il n’a pas pu résister à l’envie de proposer des réarrangements, de nouvelles parties à la place de certaines qu’il jugeait trop faibles et surtout un gros travail d’enrichissement sur les parties de piano. Son travail était tellement bon qu’il aurait été stupide de ne pas s’en servir. Il est très performant sur son instrument. Nous mettons un point d’honneur à ce que toutes les parties soient intéressantes, tu peux concentrer ton écoute sur un élément en particulier et ne pas t’ennuyer, et lorsque tu te laisses entraîner par l’ensemble, tu remarques que effectivement il y a parfois des jeux de questions-réponses, mais pas seulement entre les guitares et les claviers.

A l’exception de quelques groupes parmi lesquels Nightwish, Samael ou Dornenreich, le claviériste est souvent le membre le plus en retrait d’un groupe. Peux-tu nous faire un petit portrait du votre, de ses références à ce poste et de sa façon de se comporter lors des prestations scéniques ?
Il s’appele donc Sebastien Latour, il jouait auparavant au sein du groupe de Rock Gothique Dirge. En matière de goûts musicaux il aime tout un tas de choses. C’est un musicien de qualité, il n’a jamais eu la moindre difficulté à jouer du Anthemon alors que les parties de clavier ne sont pas forcément évidentes. Lors de son intégration au groupe, il a appris tous les morceaux très rapidement, ce qui a également été un critère de sélection définitif. Et humainement c’est un type adorable, qui s’est très vite senti à l’aise avec nous, chose qui n’est pourtant pas facile lorsque les autres membres se connaissent depuis si longtemps. Pour les nouveaux titres, il propose très souvent une vision personnelle des parties de clavier, à partir de ce que le compositeur du morceau sur lequel nous travaillons a fait, mais il sait aussi s’effacer lorsque les parties d’origines se suffisent à elles même ou lorsque ses idées sont rejetées. Mais généralement ce qu’il propose est opportun. Du coup, sa présence et son action au sein du groupe fait désormais entièrement partie de notre son. Sur scène, il est dans son monde, il est le premier à entrer dans l’univers crée par la musique, c’est tout juste s’il n’entre pas en transe. C’est notre David Helfgott à nous !

Existe-t-on par la liberté d’autrui ?
On existe à travers le regard des autres mais paradoxalement ce même regard nous prive de notre liberté, parce qu’il nous juge et nous enferme dans des conventions sociales. La liberté des autres fait obstacle à la notre, mais c’est là la condition humaine il me semble. S’il n’y avait pas de barrières à notre propre existence, peut être souffririons nous du " taedium vitae ". D’un autre côté, je ne pense pas que notre société occidentale soit libre, ce conditionnement à la consommation de masse dont les populations sont victimes les prive de la vraie liberté : celle dont on jouit lorsque l’on existe pour soi-même et non pas à travers des modes de pensées conçues par d’autres pour s’enrichir ou acquérir un quelconque pouvoir.

antheLineUp2.jpg (109607 octets)Le morceau " Arcanes " a cela de particulier que le chant y est non plus lyrique, mais narratif. Quelle volonté se cache derrière ce fait ? Est-ce une façon d’adresser un message plus direct à l’auditeur que par le biais des titres réguliers ? D’autre part explique-moi s’il-te-plaît dans quelle mesure la longue répétition en fondu de la sentence " explore les arcanes de l’éternel savoir, pour que des ténèbres surgisse le pouvoir " est une conclusion adéquate pour l’album. Quel genre de marque est-elle censée imprimer sur l’esprit de l’auditeur ?
" Arcanes " était sensé être un titre instrumental à la base. Nous avions déjà tenté notre chance sur " Talvi ", ce qui a donné " Der Todesking ", qui est un titre que j’aime beaucoup. Cependant j’avais également l’intention d’avoir au moins un texte en français pour l’album et j’ai donc eu l’idée de le placer sur le morceau " Arcanes ", mais narré afin de conserver un peu cette ambiance instrumentale et ne pas en faire un morceau comme les autres. Les parties narrées sont une constante chez Anthemon, c’est quelque chose que nous employons souvent, c’est une autre de nos marques de fabrique. Et sur " Arcanes ", il donne au morceau une atmosphère solennelle et mystérieuse qui se fond à merveille avec la musique et le sens du texte. Il n’était pas vraiment question d’adresser un message plus direct à l’auditeur, c’est simplement un parti-pris artistique. Mais l’auditeur francophone pourra y trouver un sens plus facile à déceler c’est vrai. Le texte de " Arcanes " est une fiction, la seule de l’album, dont le narrateur cherche à devenir omniscient. Derrière cela, on comprend facilement que l’une des significations possibles de ce texte est qu’avant d’être capable d’apprécier les bonnes choses, notamment en matière artistique, il faut une certaine initiation et surtout un effort personnel d’apprentissage et de compréhension. Et la récompense vaut la peine de cet effort ! Mais une fois encore, la narration n’a pas été envisagée pour mettre cela en avant. Quant à la litanie qui conclue l’album, l’effet recherché était d’avoir en quelques sortes un chœur de secte répétant inlassablement la même chose pour marquer au fer rouge ceux qui l’entendent. La signification de ce choix fait partie des petits combats personnels qui me tiennent à cœur, à savoir dénoncer la société d’endoctrinement permanent dans laquelle nous vivons et affirmer que c’est dans l’ombre que l’on trouve le chemin de la quintessence, en fouillant dans la masse de savoirs qui n’est pas exposée au grand jour. C’est en tout cas le sens que je lui donne derrière le côté " fantasy " de cette tirade finale, qui, pour répondre à ta question, est la bonne manière de conclure l’album. C’est un message fort qui sert aussi de résumé à ce que l’auditeur vient d’entendre tout au long du disque.

Pour moi la pièce maîtresse de cet album somme toute très homogène est sans conteste le morceau " Semen ", qui contient à peu près tout ce qu’il faut pour faire un hymne absolu : de la puissance, de l’émotion, du caractère et des riffs qui claquent… Je sais que tu aimes aussi ce titre. Toutes proportions gardées, le considères-tu comme un " best-of " des ingrédients et préceptes propres à Anthemon ? Est-ce que le groupe a été sujet à une excitation particulière au moment où la trame de " Semen " commençait à prendre forme et qu’il devenait évident que vous vous acheminiez vers un gros poisson ?
" Semen " est effectivement mon titre favori, visiblement pour les mêmes raisons que toi, mais aussi parce qu’il est le parfait résumé de la musique que fait Anthemon. Il y a dans ce titre tous, ou presque tous les éléments que nous développons. A savoir des parties musicales très distinctes, des ambiances alternées, des parties ultra lourdes, d’autres plus aériennes, des harmonies de guitares, etc… le tout assemblé avec cohérence et unité. Il n’a pas eu d’excitation particulière lors de la mise en place de ce titre, du moins pas plus que d’habitude, parce que nous sommes toujours très impatients de répéter de nouveaux titres. Qui plus est, ce n’est pas le titre préféré de tout le monde dans le groupe. En revanche quand j’ai maquetté le titre pour la première fois, je savais qu’il serait très bon une fois complètement terminé, il en a été de même avec " Arcanes ", " No Rest No Peace " ou quand Alex m’a fait écouter une de ses compositions, qui deviendrait " Keep Dying ".

Mine de rien il y a quand même bon nombre de parties qui rentrent bien dans le lard (" Keep Dying " entre autres). Est-ce une façon de garder à l’esprit que le metal, quelle que soit sa forme et ses soubassements, est avant tout affaire de poigne ? Envisages-tu comme possible la composition d’un album d’Anthemon qui soit focalisé sur l’approfondissement d’une seule et unique facette stylistique du groupe, genre 100% mélancolique, ou au contraire 100% heavy metal ?
Le Metal n’a pas qu’un seul visage, c’est ce qui fait la force, la richesse et la variété de ce style. Certes la puissance est une de ses caractéristiques bien trempées et nous savons mettre en avant cette facette quand il le faut. Il y a ces parties très directes dans " Keep Dying " et " Meaningless " par exemple, qui sont là pour faire contrepoids avec des parties plus complexes ou plus atmosphériques et aussi pour faire un peu headbanger l’auditeur de temps en temps ! De plus, nos goûts en matière de musique, et plus spécifiquement en matière de Metal, étant variés, inclure ce genre de parties dans Anthemon s’est fait tout simplement. Il y avait déjà des parties très pêchues sur " Talvi ", comme sur " Against The Emptiness " par exemple, mais il y en a davantage sur " Arcanes ". Je n’exclue pas d’inclure à l’avenir des parties plus violentes mêmes. Nous fonctionnons par rapport à ce que nous souhaitons faire à un instant T tout en gardant à l’esprit une logique d’évolution permanente, donc inclure de nouveaux éléments dans notre musique est une manière logique d’avancer. D’autre part il est impensable dans ma vision de la musique que Anthemon pratique, de ne se concentrer que sur une facette de notre personnalité.

Si je te dis qu’au bout de 1’35 dans " No Rest No Peace " il y a un riff intermédiaire qui sonne comme un clin d’œil au morceau " A Kiss to Remember " de My Dying Bride, est-ce que tu plaides coupable ? Concrètement, penses-tu qu’il existe une certaine limite au sein de laquelle un musicien peut s’autoriser à " piocher " l’une ou l’autre idée (ou une attitude de composition générale) dans le répertoire d’autrui ? Où se situe la frontière entre l’inspiration, l’hommage, et la perte d’intégrité ?
Par rapport à " No Rest No Peace ", je n’ai pas le disque de My Dying Bride sous la main donc je m’excuse si je réponds sans avoir fait la comparaison, mais je plaide non-coupable. My Dying Bride est un groupe que j’adore et que j’écoute beaucoup, ceci explique peut être cela, mais en aucun cas je ne me permettrais d’emprunter la moindre note à un autre groupe. Il s’agit sans doute d’une coïncidence, ou plus probablement d’une influence inconsciente pour ce riff en particulier parce que cela fait des années que je suis fan de My Dying Bride, mais si j’avais remarqué que cette partie était si proche d’une des leurs, alors je ne l’aurais pas intégrée au morceau. A titre personnel, je m’efforce d’avoir un style de composition qui m’est propre. Si celui ci est conditionné par mon cheminement personnel en tant qu’amateur de musique, je n’y peux rien et c’est quelque chose de tout à fait normal. Il est difficile de créer de la musique qui sonne de manière tout à fait neuve, je pense que c’est la forme qui évolue alors que le fond, c’est sans doute le même depuis des siècles. Aujourd’hui, l’évolution se fait par le mélange des influences et une plus grande diversité dans l’approche de la composition. Prends un groupe comme Opeth, c’est un groupe fabuleux, mais Mike Akerfeldt a avoué " si je suis un bon compositeur, c’est parce que j’ai bon goût ". Je comprends parfaitement ce qu’il a voulu dire, parce que je me sens de cette sensibilité là aussi. J’essaie de créer dans un seul titre des variations de sentiments et d’atmosphères qui sont d’habitude disparates, et de raconter des histoires avec la musique, avec un contexte, un développement, et une fin. Pour ce qui est de piocher dans le répertoire d’autrui, tout dépend des fins envisagées. Si le parti-pris est l’hommage, ce n’est pas gênant, par contre le plagiat m’insupporte. Ce genre de choses se sent de tout façon. Quand à mimer un style de composition, pourquoi pas, mais si c’est totalement volontaire, je n’y vois pas trop d’intérêt car la copie est rarement voire jamais meilleure que l’original.

La très classieuse pochette de " Arcanes " est une création J.P. Fournier. Penses-tu qu’elle retranscrive fidèlement l’esprit de la musique ? T’es-tu déjà demandé ce qui arrive à Blanche-Neige au-delà du cadre figé de cette image ? Trouve-t-on la réponse dans le disque ?
Tu le dis toi-même, la pochette de " Arcanes " est une création de J.P. Fournier. C’est sa vision de nos textes et de notre musique. C’est un artiste visuel, nous sommes des musiciens. Il a mis en image ce que Anthemon lui inspirait et cela a donné les deux illustrations que l’on trouve sur le CD. Nous avons immédiatement accepté son premier croquis lorsqu’il a commencé à travailler sur le projet, parce que nous avons rapidement fait le lien entre ce qui se passe dans notre musique et ce qui se passe sur cette pochette. Et à titre personnel, je considère qu’un artiste ne doit pas être bridé, si nous avions eu en tête une idée très précise de ce qu’il fallait comme artwork, nous aurions fait appel à un simple exécutant, mais J.P. est beaucoup plus que ça. Le personnage en blanc n’est pas Blanche Neige, mais est inspiré de la Dame Blanche, qui est un vieux mythe de l’Est de la France. J’ai mon idée sur le pourquoi et le comment de la situation présentée sur la pochette et j’ai également l’explication de Fournier, qui n’est d’ailleurs pas la même que la mienne. Il y a tellement d’interprétations possibles, que je ne veux pas donner la clé des arcanes qui entourent la pochette ! J’aime l’idée qu’on puisse regarder cette pochette pendant 15 minutes en se demandant ce qui se passe exactement.

Sur ce que j’ai pu observer, Anthemon bénéficie d’une couverture médiatique fort acceptable, ainsi que d’un cercle d’amis très actif en sa faveur. Penses-tu à ce sujet que le fait de résider sur la capitale est un facteur profitable pour un meilleur accès aux media qui comptent ?
Thundering fait du très, très bon travail au niveau de la promotion de " Arcanes ", et j’ai le sentiment que la bonne réputation apportée par " Talvi " a formé un noyau de fans qui sont, d’après mes constatations, comblés par " Arcanes ". Et comme tous les groupes, nous avons dans notre entourage des gens qui nous soutiennent. Je pense qu’il existe également un certain " coefficient sympathie " pour Anthemon parce que nous restons très disponibles et nous ne mettons pas de distance entre les gens qui apprécient notre musique et nous en tant qu’individus. Il faut savoir rester simple et prendre un maximum de recul par rapport à tout ça. Résider à Paris est peut être un avantage, je ne sais pas… Pas forcément, parce qu’il y a plus de concurrence qu’ailleurs et que le fameux esprit parisien est ce qu’il est. La compétition, les jalousies, les batailles de styles, tout ça est assez développé dans la capitale. Anthemon fait son maximum pour éviter tout ça, nous faisons notre truc de notre côté, nous côtoyons des groupes qui sont des amis depuis longtemps ou depuis peu et ignorons les autres. Pour les médias, je ne crois pas que le fait d’être Parisien soit réellement avantageux, si ce n’est l’aspect pratique lorsqu’il faut donner une interview en vis-à-vis à un magazine à publication nationale par exemple. Mais pour moi le média qui compte aujourd’hui, c’est Internet, et là les distances sont abolies.

As-tu un scoop à nous révéler concernant une éventuelle tournée française et/ou européenne (voire slovène) dans les mois à venir ?
Pas de scoop, mais une tournée est envisageable. Nous en discutons avec Laurent Bocquet et d’autres groupes signés chez Thundering, mais il est encore trop tôt pour en parler car il n’y a rien d’engagé pour l’instant.

En parlant de concerts, la scène parisienne a été le triste témoin ces derniers temps d’échauffourées véhémentes entre fractions de fans aux idéologies diamétralement opposées… Est-ce que de tels incidents se sont déjà produits lors de concerts d’Anthemon ? Doit-on considérer cela comme des anecdotes qui ne concernent que les abrutis impliqués, ou bien y a-t-il un réel danger de voir les salles et les organisateurs rechigner de plus en plus à soutenir le metal ? D’après toi, s’agit-il d’un phénomène endémique à la France et plus particulièrement à la capitale ?
Il y a toujours des imbéciles qui se rendent aux concerts pour d’autres raisons que venir passer un bon moment, surtout en matière de Metal extrême. Je suppose que le phénomène n’a pas beaucoup d’ampleur et qu’il s’agit d’incidents isolés. Il y a certains groupes de Black Metal qui traînent une image sulfureuse et qui forcément attisent ce genre d’incidents. Je pense que cela cessera complètement lorsque ces groupes en question cesseront d’être invités à jouer, c’est tout. Je pense aussi que les groupes qui n’ont rien à voir avec ça mais qui acceptent de jouer sur la même affiche ont leur part de responsabilité, le boycott est la seule solution viable pour que le public à problème cesse d’être la cause de bagarres. En tout cas ce n’est jamais arrivé à Anthemon. Nous sommes là pour faire de la musique, point barre. Nous ne partageons pas l’affiche avec des groupes aux idées tordues et si de tels incidents devaient arriver pendant un de nos concerts, le show serait terminé et les fauteurs de trouble auraient tout le loisir de s’expliquer avec le public venu pour nous. On voit aussi, en tout cas sur Paris, quelques punks pour qui les mots " respect des gens qui sont autour de toi " et " respect des musiciens sur scène " n’ont pas de sens, je le déplore.

A titre personnel, écoutes-tu beaucoup tes propres albums ? Les écoutes-tu dans la même optique de " loisir " qu’avec n’importe quel autre disque, ou bien t’est-il impossible de dissocier un œil critique par rapport à tes créations ?
C’est assez difficile de les écouter, parce que je suis trop analytique quand j’écoute mon propre travail. Disons que je l’écoute avec mon cerveau et pas avec mes tripes, sauf dans certains cas particuliers. J’arrive quand même à écouter et apprécier " Arcanes ", parce que la différence entre le disque idéalisé lors des premières esquisses de composition et le résultat final n’est pas énorme. Et j’arrive seulement à écouter " Talvi " depuis peu de temps en fait. J’ai une relation très forte avec la musique d’Anthemon, qui fait que je ne vois que ce qui pourrait être mieux et j’ai du mal à ne me concentrer que sur ce qui est bon et bel et bien là. Je n’ai aucun doute quant à la qualité de notre musique, mais je la connais trop bien pour ne pas sans cesse me dire " tiens, ce truc là aurait été mieux de telle ou telle façon ". Mais je suis loin de m’en plaindre, cela me donne une motivation pour avancer et faire mieux la fois suivante, un peu comme une course poursuite menée contre un disque idéal.

Personnellement Sylvain, peux-tu détailler le line-up idéal avec lequel tu rêverais de jouer ? En réfléchissant bien, serais-tu prêt à quitter Anthemon si l’opportunité t’était offerte de réaliser un tel fantasme ?
Sans réfléchir, je te citerais les noms de musiciens que j’aime énormément, disons Roger Waters, Mike Akerfeldt, Devin Townsend ou Mike Patton, Martin Lopez, et… Sébastien Latour !!!… Mais franchement, je ne vois pas ce que je pourrais faire au milieu de monstres comme Waters, Akerfeldt ou Townsend et j’imagine mal des compositeurs habitués à une certaine liberté sans trop de compromis être capables de travailler ensemble. Donc en réfléchissant, je ne pense pas que j’aimerais jouer avec mes " idoles ". Et en fait c’est surtout pour leurs facultés de création que j’apprécie ces gens. La composition est la partie que je préfère dans le fonctionnement d’une entité musicale. Des personnes qui partagent la même vision de la musique que moi, voilà ce que je souhaite, et ça ne fonctionne pas trop mal avec les membres d’Anthemon. J’ai donc l’intention de continuer encore un bout de chemin avec eux quoi qu’il arrive, il y a beaucoup de moi dans ce groupe, je ne vois pas de raison de le quitter pour le moment.

Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler bientôt, mais il se trouve que ton second groupe, Monolithe, est dans les starting-blocks avec un album dont la date de sortie a été récemment repoussée à mars il me semble. Je t’offre ici l’opportunité de disserter un peu sur ce groupe, sur le pourquoi et les circonstances de sa naissance, sur les personnes qui t’accompagnent dans ce projet, et sur les thèmes abordés par la musique…
Le premier album " Monolithe I " va être enregistré en mars, ce n’est pas la date de sortie, qui elle est encore indéfinie mais devrait être fixée en 2003. Je dois démarcher pour trouver un label, j’en saurai plus dans quelques temps. Tout ceci aurait dû être prêt il y a longtemps déjà mais des problèmes de disponibilité couplés à de grave problèmes techniques ont lourdement handicapé le planning initial. Monolithe n’est pas un vrai groupe, c’est un projet studio que je mène, et les musiciens qui m’accompagnent le font sur mon invitation. Il s’agit de Doom extrême, très lent et très lourd, très sombre et funéraire. Monolithe est un concept basé sur l’origine de la vie sur terre, chaque album sera un nouveau pas dans l’apprentissage de la vérité, et surtout chaque album ne sera composé que d’un seul morceau d’une cinquantaine de minutes. " Monolithe I " sortira donc en 2003 et " Monolithe II " suivra, je pense, quelques mois plus tard puisqu’il est quasi entièrement composé. La génèse de Monolithe est très simple. J’avais en réserve de bons riffs et de bonnes parties très Doom, que je ne pensais pas intégrer à Anthemon parce que ça n’aurait pas collé musicalement et aussi parce que j’essaie de faire attention aux goûts des autres membres du groupe quand je leur propose des nouveaux titres. J’ai donc réuni toutes ces bribes pour ne faire qu’un seul morceau, que je n’aurais de toute façon pas su comment exploiter. Je me suis retrouvé avec une bonne vingtaine de minutes de musique et comme je n’arrêtais pas d’avoir des idées successives sur ce qui pourrait se passer après, j’ai fini par me retrouver avec un long morceau de 50 minutes. Et dès lors Monolithe était né. Il s’agit bien d’un seul titre et pas des parties collées bout à bout. Certaines parties reviennent et la structure a une logique cohérente. Je suis très satisfait du résultat et je sais que " Monolithe I " va être un très bon disque de Doom, j’ai d’ailleurs reçu pas mal d’encouragements par rapport aux quelques courts samples que l’on peut retrouver sur le site de Monolithe : http://www.monolithe.free.fr.

Le principe est d’avoir un line-up relativement évolutif d’un disque à l’autre, mais celui de " Monolithe I " sera composé de Richard Loudin (Despond, Bran Barr, Nydvind,…), Marc Canlers (Anthemon), Nicolas Chevrollier (The Old Dead Tree), Benoît Blin (Cioran) et bien sûr moi-même.

J’ai une question qui devrait t’enthousiasmer ! T’arrive-t-il de composer " par accident ", que le produit fortuit de tatônements non dirigés se mue finalement en riffs ou en mélodies viables à l’exploitation ?
Bien sûr, ces " incidents " étant bien souvent à l’origine d’un titre ensuite. Par exemple il m’arrive de tout simplement de jouer n’importe quoi à la guitare histoire de passer le temps ou par plaisir de jouer, et de trouver, complètement par hasard, une ou des mélodies ou riffs qui vont me servir de base pour composer un titre complet. Par contre, une fois le " squelette " d’un titre mis en place, il n’y a plus de place au hasard, c’est là qu’intervient le savoir faire, c’est à dire les arrangements, la structure du titre, la progression, et accentuer l’impact de certaines parties au niveau de l’efficacité et/ou de l’émotion. Mais je ne fonctionne pas uniquement comme cela, je peux aussi chercher à transcrire en musique telle ou telle chose et travailler à l’obtention de ce rendu. Il n’y a pas de règle en fait, il y a juste des moments avec et des moments sans.

La composition musicale obéit-elle à un processus exponentiel ou fini ? Est-ce que la manne des possibilités et des combinaisons s’accroît sans limite au gré des innovations techniques et des inspirations neuves, ou s’amenuise-t-elle imperceptibement mais sûrement comme une peau de chagrin au fil des années jusqu’à ce qu’il n’y ait tout simplement plus de mélodie inédite à découvrir ? Selon toi, à quoi tiennent les périodes fastes et les creux dans une carrière-type de musicien ?
Comme je te le disais en réponse à une autre question, je pense que le fond reste mais les formes changent. Pour donner un seul exemple, on retrouve le rock psychédélique de la fin des années 60 et début des années 70 sous la forme de la Transe aujourd’hui. Ce sont des musiques qui dans la forme n’ont rien à voir mais qui dans le fond disent la même chose, ou quasiment la même chose. L’évolution technologique permet de renouveler la forme sans cesse, maintenant je suis incapable de dire si oui ou non il existe une limite. Mais le recyclage de la musique n’est pas du tout un phénomène nouveau. Je pense que l’évolution logique va plutôt vers le métissage. Attention, je ne prêche pas le mélange de tout et n’importe quoi, mais simplement l’intégration d’influences externes dans un style donné qui finit forcément par tourner en rond faute de nouveaux ingrédients. Anthemon pratique une musique intégrant des éléments variés tout en restant volontairement dans une optique plutôt mélancolique et sombre. Moi qui suis un metalhead pur jus, j’adore pourtant le Trip Hop, et si cela influence ma façon de composer du Metal, je ne peux que m’en réjouir. Quant à la carrière type du musicien, je n’ai pas d’avis tranché sur la question… Les raisons qui font qu’un musicien peut entrer dans des périodes très positivement créatives et d’autres pendant lesquelles il ne fera rien de bon ne dépendent que de lui, de ce qu’il vit,de ce qu’il fait, de ce à quoi il aspire… L’inspiration n’a pas de définition exacte. Je ne sais pas s’il existe des moments de creux inéluctables, et j’ai encore beaucoup à faire avant d’avoir l’expérience nécessaire pour en parler mieux que ça !

Parlons Star Ac’ ! T’arrive-t-il d’avoir des remontées gastriques lorsque tu vois le genre de gangrène musicale et de polichinelles gominés que sacralise le grand cirque audiovisuel, ou bien survoles-tu tout cela d’un œil cynique et détaché ? En tant qu’artiste impliqué, est-il d’autant plus difficile de porter un regard tolérant sur les styles que l’on considère comme avilis et corrompus ?
En général je n’y porte même plus attention. C’est un combat perdu d’avance. Je préfère regarder tout ça au second degré. J’ai vécu une période pendant laquelle tout ce cirque me révoltait parce que, même si les choses n’étaient pas poussées aussi à l’extrême quand j’étais adolescent, il y avait déjà ce gros antagonisme entre l’art vrai et sincère contre la décrépitude d’une musique destinée à la consommation de masse. De toute façon les gens ont tellement été sevrés par ces bêtises, que cela sert à quoi exactement d’essayer de leur expliquer que Star Academy c’est de la merde ? Après tout, s’ils sont heureux avec ça, grand bien leur en fasse, de toute façon il n’ont rien d’autre à quoi s’accrocher… Je déplore que des motifs financiers poussent les marionnettistes du show-business à endoctriner et abrutir la population à coups de chansons parfaitement calibrées et cellophanées, avec la date de péremption sur l’emballage. Bien sûr j’aimerais être capable de dire à tous ces gens qu’ils trouveraient sans aucun doute plus d’extase en écoutant de la musique créée par des artistes et non pas par des pantins au service de la sacro-sainte consommation. Mais il y a toujours des gens qui font le distinguo entre ce qui a une âme et ce qui n’en a pas. Ca me suffit, tant pis pour ceux qui passent à côté. Le contrôle des hommes en douceur pour s’enrichir passe par l’annihilation du sens critique et du goût pour les arts qui ont un sens, et c’est exactement ce que nous vivons.

Penses-tu que Nolween pourrait faire une choriste acceptable pour un groupe de black folklorique slovène ?
C’est une bonne question, parce que tout l’ambiguïté du cas Star Academy, c’est que malgré l’ordure du concept de l’émission, la candidate gagnante est loin d’être manchote. Elle veut vivre sa part du rêve que les médias enfoncent dans la tête des jeunes gens, c’est pour ça qu’elle joue le jeu. Dommage, elle a un très, très beau timbre de voix. Elle a la possibilité de faire bien mieux que choriste dans un vieux groupe de true black mal produit ou, pire, que chanter de la variétoche stéréotypée copyrightée TF1 et Universal Music ! C’est à elle que tu pensais quand tu me demandais si engager une seconde chanteuse dans Anthemon serait envisageable ? :) (NdJ : non, plutôt à Montserrat Caballé :)).

Veuille s’il-te-plaît nommer et commenter les trois albums qui t’ont le plus dévasté le brushing ces derniers mois.
Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais si je dois citer trois disques marquants de ces derniers mois, je dirais :

The Provenance – "Still At Arms Length". Très bonne découverte, puisque je ne connaissais pas leur disque précédent. J’apprécie la richesse de ce disque, la multitude d’instruments, d’ambiances, les progressions d’accords inattendus, avec un côté Opeth assez prononcé à ce niveau là, et la grande efficacité des mélodies. Il m’a fallu un certain temps pour bien comprendre le disque, et je me félicite de ma persévérance !

Opeth – "Deliverance". Petit chef d’oeuvre, comme toujours avec Opeth. Un disque très sombre et dense, avec des riffs plus répétitifs que dans le passé afin de provoquer des sensations hypnotiques. J’adore " Wreath ", à la fois brutale et tellement triste, et ses deux solos de guitare sublimes, les meilleurs d’Opeth.

Madder Mortem – "Deadlands". Je n’aurais jamais pensé aimer ce genre de groupe, surtout pas la première fois que j’ai écouté ce disque. Je connaissais un peu Madder Mortem pour les avoir déjà vus sur scène il y a quelques années, mais sans avoir écouté leur travail en studio. Je trouve ce disque incroyable. Un tel condensé d’émotions psychotiques sur une musique pourtant si simple à première vue, il fallait le faire. J’adore le travail sur la voix et la batterie, et la production est parfaite pour ce type de musique.

Une petite escale sur Opeth et leur album à venir " Damnation ". Est-ce que les Suédois sont pour ainsi dire en train d’aplatir la concurrence ? Ou bien est-ce que leur géniale prolificité est au contraire une traction-avant inespérée pour la dynamique de la scène metal dans son ensemble ? Est-ce que la trajectoire de ce groupe hors-normes peut faire office de modèle de réussite pour tout aspirant compositeur, toi y compris ?
Opeth récolte enfin les fruits de son talent, je ne peux être, en tant que fan de longue date, que ravi pour eux. C’est pour moi l’un des meilleurs groupes de Metal à l’heure actuelle, si ce n’est le meilleur si l’on considère qu’Opeth n’a jamais sorti un seul album sous la barre du génial en 10 ans d’existence. Leur trajectoire est la leur. Leur reconnaissance médiatique est très tardive, mais il faut bien se faire une raison, ce ne sont pas les musiciens les plus talentueux qui font le plus parler de leur travail. Je considère Opeth comme Metallica dans les années 80, à savoir une valeur sûre chef de file d’un mouvement artistique complet dont les disques n’auront pas pris une ride dans 50 ans. Sauf la production peut être ! Des groupes comme cela, il y en a un ou deux par décennie.
Je ne pense pas que le succès d’un groupe, même de qualité, soit un moteur de développement pour le style qu’il pratique. Bien au contraire. Entre les opportunistes de tous poils, les réactionnaires qui se mettent à cracher sur un groupe dès qu’il sort de sa petite sphère privée, et les nouveaux fans qui donnent aux anciens des envies de meurtre, ce n’est jamais très positif, sauf pour le groupe lui-même, et encore pas toujours. Je souhaite que Opeth vive de sa musique, mais j’espère que cette situation ne va pas les amener, comme de nombreux autres avant eux, à se compromettre musicalement pour conserver ce privilège. Personnellement je ne souhaite pas vivre de ma musique mais je serais bien embêté si le choix s’offrait à moi, parce que d’un autre côté c’est une situation dont peu de gens ont la chance de bénéficier et avoir plus de temps pour créer de la musique me plairait bien.

Au chapitre polémiques, voici venir pour toi l’occasion unique de démontrer par A+B à la face d’un monde incrédule que Rain n’est pas un clone bon marché de Samael !
Pose la question à un membre de Rain, pas à moi ! J’aime bien leur musique, mais je ne suis pas leur avocat :)

Dernière question : si l’on proposait à Anthemon de participer à un album tribute à un groupe culte, lequel serait-ce dans l’idéal ? Quelle chanson choisirais-tu en particulier et pourquoi ?
Franchement, ce genre d’initiative ne m’intéresse pas… Si on nous faisait cette proposition je ne serais pas seul à décider bien sûr, les autres membres d’Anthemon ont leur mot à dire sur la question. Cela dépend pour quel groupe, dans quelles conditions, dans quel but, avec quel label, etc… Généralement ces tributes sont réalisés pour ramasser le jackpot à moindre frais, je n’ai pas envie de m’associer à ça. Quitte à faire des reprises, je préfère les faire sur scène plutôt que de les enregistrer. Nous reprenons actuellement " Into Hiding " de Amorphis et " Switch 625 " de Def Leppard en leur donnant, surtout pour le second, une touche Anthemon qui fond ces titres à peu près correctement dans notre répertoire. C’est vraiment cool de jouer live des titres qui ont participé à la construction de notre propre univers musical. Sinon, je serais sans doute partant pour jouer des titres de groupes qui n’ont absolument aucun rapport avec ce qu’on fait, genre du vieux Death suédois !

Violent Solutions loue ta patience et ton abnégation ! En retour, tu as la possibilité soit de louer la grandeur cosmique de Violent Solutions, soit de faire un petit coucou à nos sympathiques lecteurs – sans oublier de caser l’adresse du contact et du website d’Anthemon…
Merci à toi pour ton interview et ton soutien ! J’invite bien entendu les lecteurs qui ne nous connaissent pas à écouter les samples disponibles sur notre site http://anthemon.free.fr. Ecouter vaudra toujours mieux que les longs discours. Je rappelle qu’Anthemon ouvrira le feu lors du festival Epsilon qui se déroulera le 26 avril à Paris au Club Dunois, alors arrivez à l’heure !