Thomas et Diane interview Vincent de ANATHEMA
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La venue de Anathema pour la promotion de son nouvel album ne pouvait être ratée par VS. Nous avons même eu l'audace d'envoyer 2 fans absolus du groupe pour les mettre en face de l'idole : Vincent Cavanagh. Interview !!

Question classique : pouvez-vous nous décrire le nouvel album, "A fine day to exit" ?
- Franchement, j'en serais bien incapable. En un mot, ce serait : neuf morceaux différents - très différents, abordant des styles musicaux très variés. J'imagine qu'on pourrait croire que certains sont le fait d'un autre groupe ! Une chose est sûr : ce n'est pas un album "métal", et nous ne sommes plus un groupe de "métal". Nous ne voulons pas renier ce genre, mais c'est un simple fait indiscutable. Tout ce que je sais, c'est qu'il devrait vous plaire ! C'est sans doute le plus mûr que nous ayions fait, certainement le plus varié, et j'ai l'impression que nous avons progressé, exploré de nouveaux territoires musicaux. Mais bien sûr, comme toujours, cela nous est venu tout naturellement. Nous écrivons de la musique parce que c'est ce que nous sommes, ce que nous faisons. A nos débuts, avec Darren (White, le chanteur originel, N.d.t.) nous avions une idée assez précise de la direction que nous voulions prendre : nous voulions jouer sur scène, faire du métal… Mais nous avions tous dans les seize, dix-sept ans ! C'était il y a onze ans maintenant. Depuis nous avons évolué, mais nous sommes restés des musiciens.L C'est un processus incessant, lorsqu'un album est terminé, de nouvelles chansons sont déjà là… Cela n'en finit jamais ! Mais nous n'avons pas de plan préétabli ou de formule magique, nous nous contentons d'écrire ce que nous avons envie d'entendre, et ce le mieux possible !

Dès le départ, il est évident qu'Anathema était un groupe intègre, qui ne se laisserait jamais dicter sa loi, ni répéter inlassablement le même morceau d'album en album…
- Non, ça jamais ! Mais au départ, nous n'en étions même pas conscients. Nous avons fait six CDs et chacun est différent du précédent. C'est le fait de devoir faire des interviews qui nous l'a fait comprendre, car alors, il faut expliquer, raisonner… Or lorsqu'il s'agit d'écrire, ce n'est pas un acte réfléchi. On nous demande toujours "Où se situe cet album par rapport au précédent", ce qui est une question idiote, car à quoi bon vouloir comparer ? Chaque album est indépendant et doit se suffire à lui-même. Il est ce qu'il est, tout comme le précédent et le prochain !

Les fans d'Anathema, souvent très fidèles, s'en soucient moins…
- En effet, partout dans le monde, on se fait aborder par des fans, et ce à toute époque. C'est formidable, car on a l'impression qu'ils cha
anathema-itw.jpg (13230 octets)ngent, eux aussi. Pourtant, si on écoute nos premiers CD, on pourrait croire à un autre groupe totalement différent ! Et que faut-il en penser ? Je ne sais pas. Peut-être ont-ils grandi et mûri en même temps que nous. Ils ont neuf ans de plus, nous aussi !

Mais certains disent "Je préfère telle ou telle période", mais tous comprennent le sens de cette évolution et la respectent comme partie intégrante d'Anathema…
- Nous avons toujours suivi ce en quoi nous croyons, c'est à dire notre musique. Personne ne nous dit ce que nous devons faire, nous avons une liberté créative totale par rapport à notre maison de disque. En général, ils veulent que l'album soit terminé beaucoup trop tôt, etc, etc, et nous disons, d'accord, mais si cela prend plus de temps, vous n'avez qu'à payer le studio et je vous merde ! (rires) Nous faisons ce que nous voulons. Si l'album n'est pas prêt, il n'est pas prêt. Vous voulez qu'il soit bon ? D'accord, nous aussi, point barre ! C'est indispensable ! En terme créatif, tant en studio que sur scène, nous fonctionnons comme ça. Nous avons décidé de changer de producteur car nous voulions faire autre chose. Pour le prochain, nous voudrions l'enregistrer et le produire nous-même, nous avons tout l'équipement nécessaire. Nous pourrions l'enregistrer pour la moitié du coût de celui-ci et le résultat serait encore meilleur ! J'espère que nous pourrons le faire et nous y consacrer entièrement. Bien sûr, il nous faut l'aval de la maison de disque, c'est dans notre contrat, nous allons déposer le projet et… espérer !

Selon le dicton : si l'on commence à écouter les grosses légumes, c'est le commencement de la fin !
- En effet ! C'est comme un père qui viendrait nous tirer les oreilles. Ne fais pas ça ! N'écoute pas ça ! (rires)

Malgré les changements de personnel, Anathema est toujours resté Anathema
- Bien, c'est mon frère, John et moi qui avons fondé le noyau dur, avec deux autres personnes - dont notre frère Jamie, qui est parti avant qu'on enregistre, et Darren White qui est parti : son style vocal ne convenait plus et j'ai pris sa place. En fait, ce n'est pas si différent, les seuls vrais changement étaient les bassistes. Duncan, en s'intégrant au groupe, a réalisé qu'il voulait faire quelque chose de personnel, et il avait d'excellentes raisons pour cela - et c'est une bonne chose, pour lui comme pour nous.

Avec son groupe Antimatter, il a pris une voie totalement différente…
- En effet, c'est ce qu'il voulait. Mais il désirait aussi s'éloigner des maisons de disques et de tout ce cirque, et des contrats qui nous liaient. Et en effet, comme ça, il a beaucoup plus d'espace : nous sommes quatre à écrire pour Anathema, nous n'avons pas à nous battre pour imposer nos créations aux autres, car tout le monde reconnaît les meilleures compos, celles qui vont bien ensemble, ce n'est jamais un problème. Nous sommes égaux sur ce point, personne n'est plus important qu'un autre en terme de composition. Par exemple, sur le dernier, John en a écrit plus que tout autre, et ce n'était pas prévu à l'origine ! Nous restons tous ouverts et pensons à la qualité avant tout. Par exemple, Danny a voulu chanter "Parisienne Moonlight", et pourtant, ce n'était pas son intention à l'origine, mais il a fini par réaliser que sa voix "collait" bien. Je n'allais pas l'envoyer sur les roses et exiger de la chanter ! Cette chanson lui tient à cœur, il y est très attaché, pourquoi ne la chanterait-il pas ?

Votre propre style vocal ne cesse de s'améliorer d'album en album pour s'approcher de la perfection sur "Judgment", avez-vous beaucoup travaillé, pris des cours ?
- Non ! (silence stupéfait…) Non, je ne fais rien de spécial, je ne cherche même pas à la protéger, je fais tout ce qu'il ne faudrait pas… C'est vrai que des fois, je n'aurais jamais cru pouvoir sortir de telles notes, mais je crois que j'ai encore beaucoup à faire, beaucoup à expérimenter, voir ce que je peux faire sortir… Mais je crois que je m'en rapproche !

"One last goodbye", ma préférée de "Judgement", est très dure à chanter, techniquement et émotionnellement…
- En effet, c'était très dur, avec toute cette émotion… J'ai mis trois jours entiers pour m'y habituer, je croyais ne jamais pouvoir y arriver, j'étais trop bouleversé…

En effet, lorsqu'on sait ce qu'il y a derrière… (Cette chanson est dédiée à la mère des deux frères, décédée peu avant l'enregistrement de "Judgment", n.d.t.)
- En fait, tout se passe au studio, lorsqu'il s'agit de vraiment exprimer ces émotions. Lorsqu'on sait de quoi cela parle, cela ne devrait pas être si difficile… Mais je voulais vraiment la traiter en profondeur, jusqu'au bout. En concert, c'est plus dur, il faut que je me déconnecte des paroles tout en gardant un maximum d'intensité sans penser à ce que signifient les paroles… (Il a soudain l'air très las, et nous très cons…) Mais écrire un tel morceau est une satisfaction immense, j'aimerais le faire davantage. Et cela viendra ! C'est une façon d'explorer les émotions les plus personnelles, l'espoir, l'amitié… La satisfaction qu'on en retire est vraiment intense. Ecrire une chanson dont on est vraiment satisfait, c'est assez géant.

Parvenir au statut qu'à Anathema aujourd'hui, celui d'un groupe-culte, est déjà une sacrée réussite en soi…
- En effet… J'imagine avoir bien vécu jusqu'à présent… On ne peut jamais mener une existence aussi remplie qu'on le voudrait, mais bon, c'est la vie ! Et je présume que nous avons les moyens de vivre comme nous le voulons. C'est pareil pour tout le monde ! Mais c'est bien de se lever le matin, de passer en revue ce qu'on a à faire ce jour-là et de savoir que c'est ce qu'on désire vraiment faire, et non pas une succession de corvées. Je n'aime pas la vie moderne, je déteste la TV, j'ai horreur des supermarchés - c'est trop déprimant, ils me donnent la migraine ! (Rires) J'aime voir la vie comme une série d'étapes parsemées d'obstacles, il y a des choses qu'il faut absolument faire, alors on les fait. Quand j'étais gamin, lorsque quelque chose me déplaisait ou ne me convenait pas, j'avais tendance à attendre que cela passe ; parfois, je m'en débarrassais, mais en général, je l'ignorais. Maintenant, s'il m'arrive encore de me défiler, j'essaie de confronter la question directement. Je n'aime pas être négatif, ni regarder trop en arrière, vers le passé, trop de gens le font. Après tout, on ne vit qu'une fois, on n'a qu'une chance et il faut la prendre maintenant, pas hier, pas demain. On apprend ses leçons et on tente d'être ce que l'on veut être, quoi que ce soit. Trop de gens se tuent à ressasser le passé… Un vieux dicton dit : s'il y a un problème et qu'il peut être résolu, où est le problème ? S'il ne peut être résolu, s'en soucier ne changera rien !

Il est évident que, sur scène, Anathema est un groupe qui donne autant qu'il prend, il y a une véritable communion avec le public, un vrai échange…
- C'est vrai, mais parfois, cela peut donner de drôles de situations… En Suisse, par exemùple, le public est très calme, il ne va pas entrer en transe comme ici ou en Europe de l'Est. C'est leur nature, c'est tout, et si nous, sur scène, avons l'impression d'avoir donné un bon concert, tout va bien. C'est toujours la question : on a été bons ? On a bien joué ? Car c'est ce qui compte ! Il y a quelques semaines, nous avons joué à Bucarest, dans un festival, et dès le départ, nous savions que ce serait un bon concert. Nous les avons fait attendre un peu, pour faire monter le suuspense (rires) et dès que nous sommes montés sur scène, ce fut le bonheur, tout était parfait. Et cela se sentait dans la salle, qui était comme une grande boîte de métal avec 5000 personnes massées à l'intérieur, d'autres au-dehors… Dès le départ, nous savions que ce serait géant. Ce fut notre meilleur concert, avec certains en Pologne et en France.

La dernière fois, à Paris, vous avez joué "Judgment" du début à la fin…
- Ben en fait, nous n'avions jamais répété cet album pour la tournée ! Nous avions joué un ou deux morceaux lors du soundcheck, mais il y en avait d'autres que nous n'avions jamais joué en live ! Ce n'était pas prémédité, nous nous sommes dit : "Tiens, on pourrait jouer tout l'album" "Bon, allons-y" ! Et personne ne fait ça !

Et à la fin de "Parisienne Moonlight" avec votre chanteuse, vous vous êtes lancés dans une courte parodie de Death ! C'était très drôle après ce superbe piano !
- C'est elle qui a commencé ! Elle a commencé à grogner et on a suivi ! (rires) C'était tout à fait improvisé, quoique nous ayions eu l'idée auparavant et savions que nous le ferions. Mais c'est elle qui nous a donné le top !

Quand revenez-vous à Paris, au fait ???
- Vers novembre, décembre, certainement.

C'est peut-être une fausse impression, mais on dirait que vous êtes attachés à Paris : "Parisienne Moonlight", votre passage au Kata Bar…
- En effet, c'est une belle ville, mais il y a aussi le fait que nous y avons eu pas mal d'exposition. Quelqu'un de notre maison de disque qui aimait beaucoup le groupe et voulait que nous réussissions nous a trouvé des occasions de jouer, même en acoustique, pas mal de revues nous ont soutenus. Bon, on verra pour le nouvel album, car nous ne sommes plus un groupe métal, pourtant, c'est ces magazines qui nous soutiennent, mais nous devrions voir des gens d'autres horizons ! Nous voulons juste que notre musique soit vue telle qu'elle est, rien de plus.

D'autres comme Elegy vous ont aussi soutenu…
- Ces derniers temps, on nous a un peu critiqués. Je ne sais pas sur quel point, je ne lis pas mes interviews ou les critiques. Pourquoi ? J'ai fait mon boulot, et c'est tout. Je préfère ne pas voir comment je me suis rendu ridicule en public ! La presse Anglaise suit les dernières modes des USA, tout ce qui est mode, branché, fait bien… Je parle de la presse rock ; d'autres, comme "Q", aiment avoir une approche plus sérieuse. Nous préférons être dans leur colonnes, c'est notre place ! Là-dedans, on trouve des personnes qui écoutent de la musique depuis 40 ans et ont une autre approche. Pourtant, nous restons coincés avec cette étiquette "métal".

Vous avez évolué, mais vos goûts, musicaux et artistiques, ont-ils aussi évolué ?
- A vrai dire, mon inspiration vient surtout de la vie, qui ne cesse de changer, du moins la mienne ! Si on veut avancer, il faut se remuer pour parvenir à quelque chose. Il n'y a qu'une seule personne en qui on peut avoir confiance : soi-même. Il y en a d'autres, mais bon… Tout ce business de la musique ne pense qu'à une chose : l'argent. L'aspect artistique vient après. Mais je n'y crois pas, c'est sans doute pour ça que je suis encore là.

Ecoutez-vous de la musique progressive ?
- Ça dépend ce qu'on, entend par "progressive". Au sens de musique originale, avant-gardiste ? De nos jours, on classe dans le "progressif" Dream Theater ou Porcupine Tree, mais pour moi, ce n'est pas ça - Ce qui n'est pas un reproche en soi ! Porcupine Tree est un excellent groupe. Mais pour moi, le vrai progressif moderne, c'est des groupes comme Tortoise, Aphex Twin… Ce n'est pas que des vieux groupes des années 70 avec une guitare qui monte jusqu'à la poitrine ! C'est ce qu'on entend en général par "progressif", mais cela ne m'intéresse guère. J'écoute des gens comme Tom Waits, les Beatles, Jeff Buckley, Queens of the Stoner Age… Du vieux rock… AC/DC… (Il cherche) Eels, ou The Beta Band, ou Radiohead… Du classique…

Du gothique ?
- Non, ça ne m'a jamais trop botté. J'ai jamais trop aimé regarder mes chaussures ! (Sic…) Et je ne sais pas danser en marche arrière, comme ils font (Il mime au milieu des fou-rires généralisés…)

J'avais cru vois quelques vagues traces des Fields of The Nephilim…
- Mais c'est toujours pareil ! Des gens trouvent qu'on est influencés par Robert Smith alors que je n'ai jamais acheté un album de Cure de ma vie ! En fait, au début, je les détestais ! Ils ont fait quelques bonnes chansons ensuite, mais c'est tout ! Mais c'est bien, ça me fait bien marrer, c'est déjà ça ! C'est pareil avec Pink Floyd, on y voit des traces précises de tel morceau sur les nôtres… Et je ne les connais même pas ! Désolé, mon pote, c'est non ! Toujours pareil : "Votre musique est influencée par celle de Schmurtz" : bon, c'est qui, ce Schmurtz !!!

Nous divergeons sur la lecture. Vincent se révèle un grand amateur de poésie et de Robert Holdstock ("La forêt des Mythimages"), preuve de goût… Puis, notre temps touche à sa fin sur un emploi du temps qui semble particulièrement harassant. Vincent surnomme gentiment son attaché de presse - pourtant charmant ! - l'esclavagiste ! Dure loi des tournées promotionnelles. Somme toute, ce n'était qu'une interview parmi tant d'autres… Une autre brique dans le mur, comme disait le poète…