La venue de Anathema
pour la promotion de son nouvel album ne pouvait être ratée par VS. Nous avons même eu
l'audace d'envoyer 2 fans absolus du groupe pour les mettre en face de l'idole : Vincent
Cavanagh. Interview !!
Question classique : pouvez-vous nous décrire le nouvel album, "A fine day
to exit" ?
- Franchement, j'en serais bien incapable. En un mot, ce serait : neuf morceaux
différents - très différents, abordant des styles musicaux très variés. J'imagine
qu'on pourrait croire que certains sont le fait d'un autre groupe ! Une chose est sûr :
ce n'est pas un album "métal", et nous ne sommes plus un groupe de
"métal". Nous ne voulons pas renier ce genre, mais c'est un simple fait
indiscutable. Tout ce que je sais, c'est qu'il devrait vous plaire ! C'est sans doute le
plus mûr que nous ayions fait, certainement le plus varié, et j'ai l'impression que nous
avons progressé, exploré de nouveaux territoires musicaux. Mais bien sûr, comme
toujours, cela nous est venu tout naturellement. Nous écrivons de la musique parce que
c'est ce que nous sommes, ce que nous faisons. A nos débuts, avec Darren (White, le
chanteur originel, N.d.t.) nous avions une idée assez précise de la direction que nous
voulions prendre : nous voulions jouer sur scène, faire du métal
Mais nous avions
tous dans les seize, dix-sept ans ! C'était il y a onze ans maintenant. Depuis nous avons
évolué, mais nous sommes restés des musiciens.L C'est un processus incessant, lorsqu'un
album est terminé, de nouvelles chansons sont déjà là
Cela n'en finit jamais !
Mais nous n'avons pas de plan préétabli ou de formule magique, nous nous contentons
d'écrire ce que nous avons envie d'entendre, et ce le mieux possible ! Dès le départ, il est évident qu'Anathema était un groupe
intègre, qui ne se laisserait jamais dicter sa loi, ni répéter inlassablement le même
morceau d'album en album
- Non, ça jamais ! Mais au départ, nous n'en étions même pas conscients. Nous
avons fait six CDs et chacun est différent du précédent. C'est le fait de devoir faire
des interviews qui nous l'a fait comprendre, car alors, il faut expliquer, raisonner
Or lorsqu'il s'agit d'écrire, ce n'est pas un acte réfléchi. On nous demande toujours
"Où se situe cet album par rapport au précédent", ce qui est une question
idiote, car à quoi bon vouloir comparer ? Chaque album est indépendant et doit se
suffire à lui-même. Il est ce qu'il est, tout comme le précédent et le prochain !
Les fans d'Anathema, souvent très fidèles, s'en
soucient moins
- En effet, partout dans le monde, on se fait aborder par des fans, et ce à
toute époque. C'est formidable, car on a l'impression qu'ils cha ngent, eux aussi. Pourtant, si on écoute nos premiers CD, on
pourrait croire à un autre groupe totalement différent ! Et que faut-il en penser ? Je
ne sais pas. Peut-être ont-ils grandi et mûri en même temps que nous. Ils ont neuf ans
de plus, nous aussi !
Mais certains disent "Je préfère telle ou
telle période", mais tous comprennent le sens de cette évolution et la respectent
comme partie intégrante d'Anathema
- Nous avons toujours suivi ce en quoi nous croyons, c'est à dire notre musique.
Personne ne nous dit ce que nous devons faire, nous avons une liberté créative totale
par rapport à notre maison de disque. En général, ils veulent que l'album soit terminé
beaucoup trop tôt, etc, etc, et nous disons, d'accord, mais si cela prend plus de temps,
vous n'avez qu'à payer le studio et je vous merde ! (rires) Nous faisons ce que nous
voulons. Si l'album n'est pas prêt, il n'est pas prêt. Vous voulez qu'il soit bon ?
D'accord, nous aussi, point barre ! C'est indispensable ! En terme créatif, tant en
studio que sur scène, nous fonctionnons comme ça. Nous avons décidé de changer de
producteur car nous voulions faire autre chose. Pour le prochain, nous voudrions
l'enregistrer et le produire nous-même, nous avons tout l'équipement nécessaire. Nous
pourrions l'enregistrer pour la moitié du coût de celui-ci et le résultat serait encore
meilleur ! J'espère que nous pourrons le faire et nous y consacrer entièrement. Bien
sûr, il nous faut l'aval de la maison de disque, c'est dans notre contrat, nous allons
déposer le projet et
espérer !
Selon le dicton : si l'on commence à écouter les
grosses légumes, c'est le commencement de la fin !
- En effet ! C'est comme un père qui viendrait nous tirer les oreilles. Ne fais
pas ça ! N'écoute pas ça ! (rires)
Malgré les changements de personnel, Anathema est
toujours resté Anathema
- Bien, c'est mon frère, John et moi qui avons fondé le noyau dur, avec deux
autres personnes - dont notre frère Jamie, qui est parti avant qu'on enregistre, et
Darren White qui est parti : son style vocal ne convenait plus et j'ai pris sa place. En
fait, ce n'est pas si différent, les seuls vrais changement étaient les bassistes.
Duncan, en s'intégrant au groupe, a réalisé qu'il voulait faire quelque chose de
personnel, et il avait d'excellentes raisons pour cela - et c'est une bonne chose, pour
lui comme pour nous.
Avec son groupe Antimatter, il a pris une voie
totalement différente
- En effet, c'est ce qu'il voulait. Mais il désirait aussi s'éloigner des
maisons de disques et de tout ce cirque, et des contrats qui nous liaient. Et en effet,
comme ça, il a beaucoup plus d'espace : nous sommes quatre à écrire pour Anathema, nous
n'avons pas à nous battre pour imposer nos créations aux autres, car tout le monde
reconnaît les meilleures compos, celles qui vont bien ensemble, ce n'est jamais un
problème. Nous sommes égaux sur ce point, personne n'est plus important qu'un autre en
terme de composition. Par exemple, sur le dernier, John en a écrit plus que tout autre,
et ce n'était pas prévu à l'origine ! Nous restons tous ouverts et pensons à la
qualité avant tout. Par exemple, Danny a voulu chanter "Parisienne Moonlight",
et pourtant, ce n'était pas son intention à l'origine, mais il a fini par réaliser que
sa voix "collait" bien. Je n'allais pas l'envoyer sur les roses et exiger de la
chanter ! Cette chanson lui tient à cur, il y est très attaché, pourquoi ne la
chanterait-il pas ?
Votre propre style vocal ne cesse de s'améliorer
d'album en album pour s'approcher de la perfection sur "Judgment", avez-vous
beaucoup travaillé, pris des cours ?
- Non ! (silence stupéfait
) Non, je ne fais rien de spécial, je ne
cherche même pas à la protéger, je fais tout ce qu'il ne faudrait pas
C'est vrai
que des fois, je n'aurais jamais cru pouvoir sortir de telles notes, mais je crois que
j'ai encore beaucoup à faire, beaucoup à expérimenter, voir ce que je peux faire
sortir
Mais je crois que je m'en rapproche !
"One last goodbye", ma préférée de
"Judgement", est très dure à chanter, techniquement et émotionnellement
- En effet, c'était très dur, avec toute cette émotion
J'ai mis trois
jours entiers pour m'y habituer, je croyais ne jamais pouvoir y arriver, j'étais trop
bouleversé
En effet, lorsqu'on sait ce qu'il y a
derrière
(Cette chanson est dédiée à la mère des deux frères, décédée peu
avant l'enregistrement de "Judgment", n.d.t.)
- En fait, tout se passe au studio, lorsqu'il s'agit de vraiment exprimer ces
émotions. Lorsqu'on sait de quoi cela parle, cela ne devrait pas être si difficile
Mais je voulais vraiment la traiter en profondeur, jusqu'au bout. En concert, c'est plus
dur, il faut que je me déconnecte des paroles tout en gardant un maximum d'intensité
sans penser à ce que signifient les paroles
(Il a soudain l'air très las, et nous
très cons
) Mais écrire un tel morceau est une satisfaction immense, j'aimerais le
faire davantage. Et cela viendra ! C'est une façon d'explorer les émotions les plus
personnelles, l'espoir, l'amitié
La satisfaction qu'on en retire est vraiment
intense. Ecrire une chanson dont on est vraiment satisfait, c'est assez géant.
Parvenir au statut qu'à Anathema aujourd'hui,
celui d'un groupe-culte, est déjà une sacrée réussite en soi
- En effet
J'imagine avoir bien vécu jusqu'à présent
On ne peut
jamais mener une existence aussi remplie qu'on le voudrait, mais bon, c'est la vie ! Et je
présume que nous avons les moyens de vivre comme nous le voulons. C'est pareil pour tout
le monde ! Mais c'est bien de se lever le matin, de passer en revue ce qu'on a à faire ce
jour-là et de savoir que c'est ce qu'on désire vraiment faire, et non pas une succession
de corvées. Je n'aime pas la vie moderne, je déteste la TV, j'ai horreur des
supermarchés - c'est trop déprimant, ils me donnent la migraine ! (Rires) J'aime voir la
vie comme une série d'étapes parsemées d'obstacles, il y a des choses qu'il faut
absolument faire, alors on les fait. Quand j'étais gamin, lorsque quelque chose me
déplaisait ou ne me convenait pas, j'avais tendance à attendre que cela passe ; parfois,
je m'en débarrassais, mais en général, je l'ignorais. Maintenant, s'il m'arrive encore
de me défiler, j'essaie de confronter la question directement. Je n'aime pas être
négatif, ni regarder trop en arrière, vers le passé, trop de gens le font. Après tout,
on ne vit qu'une fois, on n'a qu'une chance et il faut la prendre maintenant, pas hier,
pas demain. On apprend ses leçons et on tente d'être ce que l'on veut être, quoi que ce
soit. Trop de gens se tuent à ressasser le passé
Un vieux dicton dit : s'il y a un
problème et qu'il peut être résolu, où est le problème ? S'il ne peut être résolu,
s'en soucier ne changera rien !
Il est évident que, sur scène, Anathema est un
groupe qui donne autant qu'il prend, il y a une véritable communion avec le public, un
vrai échange
- C'est vrai, mais parfois, cela peut donner de drôles de situations
En
Suisse, par exemùple, le public est très calme, il ne va pas entrer en transe comme ici
ou en Europe de l'Est. C'est leur nature, c'est tout, et si nous, sur scène, avons
l'impression d'avoir donné un bon concert, tout va bien. C'est toujours la question : on
a été bons ? On a bien joué ? Car c'est ce qui compte ! Il y a quelques semaines, nous
avons joué à Bucarest, dans un festival, et dès le départ, nous savions que ce serait
un bon concert. Nous les avons fait attendre un peu, pour faire monter le suuspense
(rires) et dès que nous sommes montés sur scène, ce fut le bonheur, tout était
parfait. Et cela se sentait dans la salle, qui était comme une grande boîte de métal
avec 5000 personnes massées à l'intérieur, d'autres au-dehors
Dès le départ,
nous savions que ce serait géant. Ce fut notre meilleur concert, avec certains en Pologne
et en France.
La dernière fois, à Paris, vous avez joué
"Judgment" du début à la fin
- Ben en fait, nous n'avions jamais répété cet album pour la tournée ! Nous
avions joué un ou deux morceaux lors du soundcheck, mais il y en avait d'autres que nous
n'avions jamais joué en live ! Ce n'était pas prémédité, nous nous sommes dit :
"Tiens, on pourrait jouer tout l'album" "Bon, allons-y" ! Et personne
ne fait ça !
Et à la fin de "Parisienne Moonlight"
avec votre chanteuse, vous vous êtes lancés dans une courte parodie de Death ! C'était
très drôle après ce superbe piano !
- C'est elle qui a commencé ! Elle a commencé à grogner et on a suivi ! (rires)
C'était tout à fait improvisé, quoique nous ayions eu l'idée auparavant et savions que
nous le ferions. Mais c'est elle qui nous a donné le top !
Quand revenez-vous à Paris, au fait ???
- Vers novembre, décembre, certainement.
C'est peut-être une fausse impression, mais on
dirait que vous êtes attachés à Paris : "Parisienne Moonlight", votre passage
au Kata Bar
- En effet, c'est une belle ville, mais il y a aussi le fait que nous y avons eu
pas mal d'exposition. Quelqu'un de notre maison de disque qui aimait beaucoup le groupe et
voulait que nous réussissions nous a trouvé des occasions de jouer, même en acoustique,
pas mal de revues nous ont soutenus. Bon, on verra pour le nouvel album, car nous ne
sommes plus un groupe métal, pourtant, c'est ces magazines qui nous soutiennent, mais
nous devrions voir des gens d'autres horizons ! Nous voulons juste que notre musique soit
vue telle qu'elle est, rien de plus.
D'autres comme Elegy vous ont aussi soutenu
- Ces derniers temps, on nous a un peu critiqués. Je ne sais pas sur quel point,
je ne lis pas mes interviews ou les critiques. Pourquoi ? J'ai fait mon boulot, et c'est
tout. Je préfère ne pas voir comment je me suis rendu ridicule en public ! La presse
Anglaise suit les dernières modes des USA, tout ce qui est mode, branché, fait
bien
Je parle de la presse rock ; d'autres, comme "Q", aiment avoir une
approche plus sérieuse. Nous préférons être dans leur colonnes, c'est notre place !
Là-dedans, on trouve des personnes qui écoutent de la musique depuis 40 ans et ont une
autre approche. Pourtant, nous restons coincés avec cette étiquette "métal".
Vous avez évolué, mais vos goûts, musicaux et
artistiques, ont-ils aussi évolué ?
- A vrai dire, mon inspiration vient surtout de la vie, qui ne cesse de changer,
du moins la mienne ! Si on veut avancer, il faut se remuer pour parvenir à quelque chose.
Il n'y a qu'une seule personne en qui on peut avoir confiance : soi-même. Il y en a
d'autres, mais bon
Tout ce business de la musique ne pense qu'à une chose :
l'argent. L'aspect artistique vient après. Mais je n'y crois pas, c'est sans doute pour
ça que je suis encore là.
Ecoutez-vous de la musique progressive ?
- Ça dépend ce qu'on, entend par "progressive". Au sens de musique
originale, avant-gardiste ? De nos jours, on classe dans le "progressif" Dream
Theater ou Porcupine Tree, mais pour moi, ce n'est pas ça - Ce qui n'est pas un reproche
en soi ! Porcupine Tree est un excellent groupe. Mais pour moi, le vrai progressif
moderne, c'est des groupes comme Tortoise, Aphex Twin
Ce n'est pas que des vieux
groupes des années 70 avec une guitare qui monte jusqu'à la poitrine ! C'est ce qu'on
entend en général par "progressif", mais cela ne m'intéresse guère.
J'écoute des gens comme Tom Waits, les Beatles, Jeff Buckley, Queens of the Stoner
Age
Du vieux rock
AC/DC
(Il cherche) Eels, ou The Beta Band, ou
Radiohead
Du classique
Du gothique ?
- Non, ça ne m'a jamais trop botté. J'ai jamais trop aimé regarder mes
chaussures ! (Sic
) Et je ne sais pas danser en marche arrière, comme ils font (Il
mime au milieu des fou-rires généralisés
)
J'avais cru vois quelques vagues traces des Fields
of The Nephilim
- Mais c'est toujours pareil ! Des gens trouvent qu'on est influencés par Robert
Smith alors que je n'ai jamais acheté un album de Cure de ma vie ! En fait, au début, je
les détestais ! Ils ont fait quelques bonnes chansons ensuite, mais c'est tout ! Mais
c'est bien, ça me fait bien marrer, c'est déjà ça ! C'est pareil avec Pink Floyd, on y
voit des traces précises de tel morceau sur les nôtres
Et je ne les connais même
pas ! Désolé, mon pote, c'est non ! Toujours pareil : "Votre musique est
influencée par celle de Schmurtz" : bon, c'est qui, ce Schmurtz !!!
Nous divergeons sur la lecture. Vincent se révèle un grand amateur de poésie et de
Robert Holdstock ("La forêt des Mythimages"), preuve de goût
Puis, notre
temps touche à sa fin sur un emploi du temps qui semble particulièrement harassant.
Vincent surnomme gentiment son attaché de presse - pourtant charmant ! - l'esclavagiste !
Dure loi des tournées promotionnelles. Somme toute, ce n'était qu'une interview parmi
tant d'autres
Une autre brique dans le mur, comme disait le poète
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